L’expérience
Jeudi 12 Octobre 2017, au théâtre de la Minoterie à Marseille, se joue Rêve et Folie, un texte de Georg Trakl, interprété par Yann Boudaud. Il est 20h et le hall du théâtre est plein, les gens attendent, il sont curieusement silencieux. Le lieu, récent, construit quelques années plus tôt, est doté d’un restaurant et d’une bibliothèque. C’est habituellement un lieu de vie, d’animation mais ce soir là, si l’une des personnes présentes ici se risquait à faire du bruit, à briser cette attente silencieuse, il serait immédiatement repris par l’un des employés en uniforme. Parmi la foule, un jeune garçon attend. Lui ne vient pas voir Yann Boudaud, il ne vient pas entendre le texte de Trakl. Lui attend la confirmation que l’homme dont on lui dit tant de bien, l’homme qu’il a choisi d’étudier sans avoir vu aucun de ses spectacles, que cet homme donc, est bien le metteur en scène de spectacle qui n’en est pas. Ce jeune homme attend autre chose. Ce soir, il veut vivre une « expérience exceptionnelle ». Mouvement de foule, les portes doivent être ouvertes et c’est dans le silence, à petits pas, billet en main, que s’engouffrent les spectateurs par la double porte du fond. Le jeune homme est dépité, il attendait devant l’escalier qui sert habituellement à entrer dans la salle. il se dit qu’il n’aura pas une bonne place, se faufile pour se rapprocher de l’autre porte, sort son billet, entre. Il fait noir, on le guide à la lumière d’une lampe de poche. Il découvre la scène, avancée et surélevée, grotte en matière grise, en ellipse. Finalement il n’est pas si mal placé, plutôt devant, plutôt à cours (il le sait, il a fait la technique du « Jesus-Christ »). Il sait qu’il devra faire part de cette expérience dans l’un des nombreux dossiers qu’il rendra sur le sujet. On attend, il ne se passe rien sur scène, la salle reste plongée dans l’ombre. Le jeune homme observe, les gens qui toussent, ceux qui se mouchent, ceux qui bougent dans leurs chaises, qui se raclent la gorge. Il se dit que tout cela n’est pas bien silencieux en fin de compte. Finalement, la lumière baisse plus encore. Le spectacle commence. Le jeune homme attend, c’est maintenant le temps de « l’expérience exceptionnelle ». Longtemps encore il ne se passe rien, puis, comme une ombre lumineuse, quelque chose apparait, fend l’espace sombre. Très lentement, la forme s’avance. On ne distingue pas tout de suite un corps. La lumière joue avec notre perception, d’abord un visage, presque masqué de lumière verte, une jambe, un bras. Le corps n’avance pas en avant-scène, il glisse, danse, se meut si lentement que peut-être ne le voit-on pas bouger. Pourtant il se retrouve là, en bord de scène, à la lisière. Et puis il y a cette voix, ce premier cri de Yann Boudaud. Comme si la langue venait d’être inventée, un langage primitif. Le jeune homme sait cela, il connait le metteur en scène, il l’a lu : « Il m’arrive très souvent de dire aux acteurs — encore à Yann Boudaud pour La Barque le soir — d’essayer de s’imaginer que la langue n’a pas été encore inventée, que la langue n’existe pas. Donc d’inventer comment commencer à parler. ». Quand on pense à ces lignes, on ne peut s’empêcher de penser au temps écoulé entre l’entrée dans la salle de spectacle et le premier son prononcé par l’acteur. C’est d’abord une syllabe avant d’être un mot, puis quelques sons, mais pas encore de sens. Cette langue nouvelle a la rugosité et la détresse du cri de l’enfant qui vient de naître. Il vient autant des entrailles de la Terre que de celles de l’acteur. Le cri se meut en chant, toujours roque, puissant, plaintif, éraillé, transcendant, comme devaient l’être les récitals d’Oum Kalsoum. Quand ce metteur en scène parle d’une langue oubliée, on comprend qu’il parle d’une langue organique, une langue qui a le pouvoir de créer le monde en 6 jours, une langue qui n’existe plus. Le jeune homme note cela dans son esprit et reporte son attention sur le corps de l’acteur. Il a bougé, ses jambes sont pliées en arc de cercle. On dirait un faune, avec ses jambes de bouc. Les lumières collent à la peau de l’acteur, il crie, il chante, finalement on ne comprend pas grand chose mais le jeune homme essaie de retracer un récit. Pas sure, quand l’acteur s’efface à nouveau, qu’il ait vraiment réussi. Il ne le confessera pas, ce ne serait pas très sérieux. Les gens applaudissent, lui peut-être aussi, mais dans une lumière apparait, blanche, en fond de scène, la silhouette de l’acteur pour une dernière fois. Un blanc dans le noir à nouveau, puis sous les applaudissements, l’acteur s’avance et salut en penchant sa tête, lentement, puis se retire. Le jeune homme attend un peu, il grave dans son esprit toutes les réflexions qu’il s’est fait. Il suit les gens qui se lèvent, sort. Il va y avoir un bord plateau, alors il attend, discute avec la dame de la billetterie : « C’était comment ?», il sait ce qu’il doit répondre : « Oh, intense et très intéressant. Mais il y a tellement de choses, il faudrait le revoir encore pour tout percevoir » « Revient demain ! Il reste des places, une classe a décommandé »… Ça, il ne s’y attendait pas : « Bah, euh, okay, ça marche ». Et c’est avec une place pour le lendemain qu’il va assister au bords plateau qui n’est pas au bords du plateau mais dans le hall, certainement pour maintenir le mystère du lieu de la représentation. Ce n’est qu’au sortir du théâtre que notre jeune homme s’avoue enfin la vérité. C’était très intéressant, cela a confirmé plein de théories, mais, en fin de compte, ce n’était pas « l’expérience exceptionnelle" qu’il attendait. Il avait déjà ri et pleuré au théâtre, là, il était resté assez inerte. Le lendemain, le jeune homme cherche à lire le texte de Georg Trakel. Il se rend à l’Alcazar, la bibliothèque municipale, où se trouve un vieil exemplaire des oeuvres complètes dans la salle des Fonds Rares et Précieux. C’est une salle isolée, les demandes de livres doivent se faire par formulaire. On monte le livre de la réserve. A la lecture, le jeune homme ne croit pas reconnaitre le texte qu’il a entendu la veille. Il décide de photographier le livre pour pouvoir le relire un autre jour. Il ignore s’il en a vraiment le droit et s’exécute en s’espérant discret. Plus tard, il arrive au théâtre, rentre en silence et vient se poster devant la double porte du fond, enfile des écouteurs et attend. Il est en avance. Les porte s’ouvrent, il entre, va s’assoir, au centre, attend. Il sait ce qui va se passer et ne prend plus la peine de noter les présences qui l’entoure. Il attend et cette attente a quelque chose de mélancolique. Elle est presque trop courte, fait partie du spectacle. Déjà l’ombre blanche, « ça allait aussi vite hier ? ». Déjà Boudaud qui s’efface, le jeune homme n’applaudit pas. Eclair blanc, applaudissements, fin. Il sort sans attendre et rentre à pied. Alors, que c’est-il passé ? C’était une expérience physique, à n’en pas douter. Les vibrations de la voix se répercutent en tremblements dans l’oreille et dans tout le corps. Le corps est lourd sur la chaise, s’enfonce, mais très vite est dépossédé. Le théâtre n’est plus physique mais psychique. Il y a une confrontation intérieure entre des mots qui cognent à des images, des souvenirs. Ce n’est plus une intellectualisation de ce qui a eu lieu sur scène. Les images sont déjà en soi et le texte et la voix et le corps de l’acteur vont, comme de l’acuponcture, chercher, cibler un endroit qui évoque à chacun un souvenir différent. Rien n’est montré mais tout est vu, éprouvé. Par moment, un retour à soi et la surprise de découvrir son corps different de celui que l’on a quitté, tendu, ou la bouche ouverte, tordu. La fatigue et la légèreté prédominent cette avancée dans la nuit. Comme flottant, résonnent encore quelque mots, quelque cris, quelque images. Mais il sait que dés demain, ses sensation seront oubliées. Et le jeune homme sait que plus jamais il ne revivra ça. C’était le dernier spectacle de ce metteur en scène qui lui offrait, in extremis, la confirmation qu’il attendait : Claude Regy est en quête d‘« expériences exceptionnelles ».
D’une relation entre acteurs
Cette double expérience du spectacle Rêve et Folies mis en scène par Claude Regy, met en contradiction deux réceptions d’un même spectacle. La première est une réception plus « intellectuelle » et « analytique » : le jeune homme a des connaissances théoriques qu’il cherche a plaquer et appliquer. C’est quelque part une réception très active du spectacle, puisqu’il cherche constamment a faire dialoguer ce qui se passe sur scène avec ce qu’il connait ou croit connaitre. La deuxième est une réception « sensorielle ». Les connaissances ne sont plus théoriques mais éprouvées, il connait les règles, il sait où se placer et peut ainsi se laisser aller. C’est, quelque part, une réception nettement plus passive puisqu’il se laisse transporter et, ce faisant, plus physique, sensible, multiple. Claude Regy l’écrit : « Je ressens, je crois, avec beaucoup de force, le désir d’un théâtre qui n’en serait plus un, en ce qu’il serait le lieu de toutes les présences, le lieu des choses elles-mêmes. Faire de ces espaces clos, illimités, qui par chance nous restent encore : les théâtres, des lieux du laisser être, renonçant à toute forme de hiérarchie entre pensée, corps, objet, texte, voix. Tout est appelé à se maintenir en soi-même, à devenir ce qu’il est : une chose. Ne plus percevoir le monde dans ses manifestations, c’est à dire depuis l’utopie d’un point idéal, qui organise toute chose, mais recevoir tout chose en elle-même, pour elle-même, à partir de là où l’on se tient par nécessité : soi-même. C’est là, placé au centre de soi-même que tout objet, tout espace, toute pensée, tout corps, tout être nous devient, non pas simplement proche mais nous-mêmes. Présence immédiate aux choses placées dans le présent. On n’a pas à les chercher puisque l’on baigne tous dans la même présence, si forte dans sa simplicité qu’elle en est inaperçue. »1 Ainsi met-il en garde ceux qui chercheraient quelque chose trop activement. Il faut se laisser baigner, tous, c’est à dire en groupe, en communauté, qui fait puissance. La mise en scène, modeste, n’écrase pas le public. Toujours les spectateurs sont plus nombreux que les acteurs, mais la mise en scène peut être plus ou moins cloisonnante, pour contenir les foules. Ici la scène est surélevée pour être à la hauteur des sièges, le décor est ouvert, il n’y a pas de quatrième mur. Le texte est adressé directement au spectateur, le corps du comédien orienté vers lui, c’est sa voix qui emplie l’espace, mais la présence est celle du collectif. L’acteur, aussi seul et central soit-il, n’est pas le centre d’attention. Il n’est que le moyen vers un but plus grand. «J’essaie toujours de faire que l’acteur ne prenne pas à son compte l’« activité », comme le nom d’«acteur » semblerait devoir l’y pousser. Je dis souvent que je préfèrerais qu’on parle de « passeurs », de gens qui font passer la substance de l’écriture dans le mentale des spectateurs. »2. Comme ce témoignage le laisse pressentir, le lieu du théâtre n’est plus la scène mais bien le mental, l’intériorité du spectateur. « A travers les acteurs un matériau fluide, celui qui s’échappe des mots, circule dans l’espace où sont inclus les spectateurs. Les acteurs n’incarnent pas, et pas plus que la mise en scène ils ne doivent se prendre pour l’objet du spectacle. Le spectacle n’a pas lieu sur la scène mais dans la tête des spectateurs. Dans leur imaginaire – comme lorsqu’il lisent un livre. Donc dans la salle. Les acteurs doivent exister en tant qu’eux-mêmes. »3. Etymologiquement, ce n’est donc plus un spectacle – du latin specio : voir, peut-être encore du théâtre – du grec theasthai, non pas dans le sens de « voir » mais « être témoins ». Mais si ce n’est plus un spectacle, qu’est-ce donc ? Un autre metteur en scène affirme que «L’espace théâtral est dans nos têtes. Vous pouvez souvent fermer les yeux : la voix et les oreilles font en effet partie du corps. »4. Il s’agit de P.P.Pasolini qui théorise le théâtre comme rite de la parole. Le rite est le contraire du théâtre passif de regardeur, le rite n’admet que des acteurs, c’est-à-dire des gens actifs et participatifs. Et pourtant, tout de suite, Regy nous apporte la contradiction en rappelant que « ce travail sur la passivité, cette façon de lier soi-même pour se laisser soi-même traverser par des forces – des forces qui viennent aussi de l’écriture elle-même et donc probablement de choses enfouies dans l’inconscient – cela nous rapproche de la situation du rêve éveillé. Tout se passe entre veille et sommeil. Ou plus encore dans un état entre la vie et la mort. »5. En effet, le témoignage s’accorde sur le fait que la passivité est au centre du processus de communion. Le rite passe donc par d’autres biais qu’une participation active de ceux qui ne sont déjà plus des spectateurs.
Il y a une certaine pauvreté dans ce spectacle. Yann Boudaud ne fait rien de perceptible et c’est ce qui est magique. On ne voit pas un mouvement, on n’entend pas un mot. Et pourtant il bouge continuellement, il émet des sons sans cesse. Le poème de Trakel fait six pages, la performance de Boudaud dure 1 heure. 1527 mots, 60 minutes, 25 mots par minute, ce qui laisse trois secondes pour prononcer le mot « mort » et pour incliner légèrement le poignée. « Coûte que coûte : rigueur. »6 dirait Pasolini. C’est énorme, infini, on perd toute notion de temps et de réalisme. On quitte la vie active – qui pourrait bien sembler passive, portée par le rythme soutenu du métro, boulot, dodo – pour atteindre une forme de sommeil, c’est à dire une forme d’ouverture passive – mais qui provoque en nous un flux actif d’images, de sensations, de souvenirs et d’émotions –. Pasolini parle de cette « Pauvreté ! »7. Il n’y a aucun sensationnalisme, les décors sont réduits au minimum, à une ambiance. « Celui qui a l’habitude de se scandaliser des innovations formelles et des problèmes nouveaux a eu tort d’entrer dans ce lieu : en effet nous n’entendons pas le scandaliser. […] Pardonnez les lumières qui s’allument et s’éteignent et l’utilisation d’instruments mécaniques : il s’agit du minimum indispensable à la forme extérieure du rite. »8 Le scandale souvent se contente de changer des lignes établies, en cela il est le contraire même du rite qui va reproduire un schéma connu de tous pour une communion et un dépassement, non des limites, mais de soi-même. Ainsi, Regy reprend les exacts codes du théâtre classique, loin des innovations du théâtre participatif. Nous sommes baignés dans le noir, en silence, l’action est frontale, se passe sur scène, il y a un texte, longuement travaillé. La connaissance minimale de ces codes n’a pas suffit à notre témoin puisqu’il a fallu une connaissance du spectacle (l’entrée, la fausse fin, le texte, la lenteur) pour qu’il puisse vraiment se laisser porter. La précision et les codes connus de tous semblent donc essentiels : chaque acteur sait ce qu’il a à faire et répète sans forcer les « formes extérieures du rite ».
« Certains ont eu des lieux de méditation, des mythes, comme formes et espaces de recueillement. Nous pouvons peut-être avoir des lieux de théâtre. Des lieux où même si les quêtes aujourd’hui paraissent absurdes, vides, parce qu’on a perdu l’origine des mondes, on entend toujours un appel, sans savoir d’où. »9. Claude Regy affirme d’office un certain mysticisme, une spiritualité de son propos. Il semble penser que le théâtre a la capacité de lier ou d’atteindre quelque chose de plus grand, de plus intemporel, qui nous dépasserait. Pour Pasolini, il ne faut pas « craindre la sacralité et les sentiments, dont le laïcisme de la société de consommation a privé les hommes en les transformant en automates laids et stupides, adorateurs de fétiches. »10. Le but et le sujet se doivent d’être d’ordre supérieur, une problématique anthropologique. Regy s’est toujours battu pour que l’on n’interprète pas son rapport intime à la mort comme une conséquence de sa vieillesse, mais comme l’acte politique suprême de son théâtre, comme le fondement de toute démarche artistique. En deux très belles pages, il recense quelques phrases qu’ont écrit sur la mort Lorca, Montaigne, Rainer, Wiliam Blake, Dante, T.S. Eliot, Emily Dickinson, Paul Klee et Sarah Kane. Il inscrit le rite dans une histoire bien plus grande que ce simple spectacle. Le but du rite est peut-être de se reconnecter à une histoire de l’humanité. L’énonciation régienne est donc excessive, poussée à son paroxysme, pour amener le public dans un endroit inconfortable, surtout pas quotidien, définitivement extrême. « Écoute de toutes les voix des partenaires et aussi des vibrations du lieu. Écouter avec toutes les oreilles qu’on a sur la peau. » On définit une vibration comme une oscillation rapide, une impression de tremblement, et une oscillation comme le passage d’un état à un autre. Le théâtre de Régy est fait de passages, de la vie à la mort, de la retenue à la folie, du monde réel au fictif. Les voix des acteurs, ralenties au maximum, vibrent, oscillent, et, pour comprendre vraiment ce qui est dit, nous devons reproduire ce mouvement d’oscillation. S’avoir être au théâtre et dans notre monde intérieur, écouter ce qui nous est dit et ce qui ne nous l’est pas. Si le rite a pour objectif de faire advenir au commun quelque chose de mystique, il se doit de choisir un sujet complexe mystérieux mais universel.
La notion de relation au spectateur soulève déjà pour Jean Vilar des questions politiques. Regy se méfie du théâtre d’ordre politique militant. Il cite souvent Heiner Muller qui disait « Je crois que ce fut l’illusion de la gauche des dernières décennies, celle des intellectuels européens et en particulier des gens de lettres de croire qu’il pourrait et devrait y avoir une communauté d’intérêts entre l’art et la politique.»11 Pasolini, lui, est très engagé politiquement. Il a une théorie : « le théâtre facile est objectivement bourgeois ; le théâtre difficile est pour les élites bourgeoises cultivées ; le théâtre très difficile est le seul théâtre démocratique. »12 Ici le théâtre très difficile est celui qui ne peut pas être prè-intellectualisé, qui perd toute sa valeur s’il est compris à travers un bagage de classe. On imagine aisément que la première expérience du jeune homme se rapproche de cette analyse anti-démocratique. En fait, le théâtre très difficile met tous ses spectateurs dans un état d’égal dépossession. Chacun participe à armes égales avec sa seule présence, ses seuls chairs et os. « Le théâtre est une forme de lutte contre la culture de masse.[…] Le théâtre n’est pas un médium de masse. Même s’il le voulait il ne pourrait pas l’être.[…] Nous ne sommes pas nombreux parce que nous sommes tous des hommes en chair et en os. »13. Cela Regy l’accorderait, lui qui a cherché à ce que ses mises en scènes soient jouées dans des petits lieux pour un nombre restreint de spectateurs. Beaucoup se sont plaints quand Regy a commencé à instaurer l’entrée en silence, parfois devant le théâtre. Certains ont trouvé la démarche liberticide, c’est peut-être le cas. Mais peut-être est-ce d’office un message très clair. Vous êtes les acteurs et les participants de ce spectacle, il vous faut vous préparer comme le font les acteurs avant d’entrer en scène. Comme l’intimerait Genet au Funambule : « veille de mourir avant que d’apparaître, et qu’un mort danse sur le fil ». Ce qui doit mourir, c’est l’individu social, celui qui existe par sa différence. Peut-être est-ce une erreur d’avoir trop souvent voulu, au théâtre, renvoyer les spectateurs à ce qu’ils sont. Les faire participer pour les éveiller sur leurs conditions. Regy semble ici adopter le processus inverse : endormir les participants pour faire advenir du commun, de l’égalité, face à des problématiques existentielles.
L’expérience exceptionnelle – puisqu’en définitive il s’agit de cela – de Rêve et Folie, tiendrait du rituel. Une expérience ou chacun, par sa présence, par son être, participe à la création d’un moment dont il ne restera rien que des témoins. Finir avec les mots de Pasolini et Regy : « Dès que la culture est rite, elle cesse d’obéir aux seules normes de la raison et redevient aussi passion et mystère. »14 « En finir avec l’idée que nous sommes des fabricant de représentation, des fabricants de spectacle pour une salle de voyeur qui regarderaient un objet fini, un objet terminé considéré comme « beau » et proposé à leur admiration. »15
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Claude Régy, Ecrits 1991 – 2011, Edition Les solitaires intempestifs, 2016, p. 25 ↩
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Claude Régy, Espace Perdus, Edition Les solitaires intempestifs, 1991, p87 ↩
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Claude Régy, Espace Perdus, Edition Les solitaires intempestifs, 1991 ↩
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Adresses directes au public de Pier Paolo Pasolini pendant les répétitions d’Orgie au Théâtre municipal de Turin en 1968. ↩
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Adresses directes au public de Pier Paolo Pasolini pendant les répétitions d’Orgie au Théâtre municipal de Turin en 1968. ↩
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Adresses directes au public de Pier Paolo Pasolini pendant les répétitions d’Orgie au Théâtre municipal de Turin en 1968. ↩
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Adresses directes au public de Pier Paolo Pasolini pendant les répétitions d’Orgie au Théâtre municipal de Turin en 1968. ↩
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Adresses directes au public de Pier Paolo Pasolini pendant les répétitions d’Orgie au Théâtre municipal de Turin en 1968. ↩
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Claude Régy, Espace Perdus, Edition Les solitaires intempestifs, 1991, p29 ↩
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Lettres luthériennes : Petit traité pédagogique de Pier Paolo Pasolini ↩
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Claude Régy, Ecrits 1991 – 2011, Edition Les solitaires intempestifs, 2016, p179-178 ↩
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Adresses directes au public de Pier Paolo Pasolini pendant les répétitions d’Orgie au Théâtre municipal de Turin en 1968. ↩
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Adresses directes au public de Pier Paolo Pasolini pendant les répétitions d’Orgie au Théâtre municipal de Turin en 1968. ↩
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Adresses directes au public de Pier Paolo Pasolini pendant les répétitions d’Orgie au Théâtre municipal de Turin en 1968. ↩
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Claude Régy, Espace Perdus, Edition Les solitaires intempestifs, 1991, p114 ↩