Matéo Mavromatis

Doctorant Arts et Esthétiques de la scène Aix Marseille Université

A l’approche de 4.48 psychose #article

– Derniers mots d’une pièce
–– Derniers mots d’une auteure.
– 4.48 psychoses de Sarah Kane est peut-être l’oeuvre la plus clivante de son théâtre.
–– plus encore que les provocations matérielles de ses premières pièces : Fer de lance de ses détracteurs, Symbole de la vague théâtrale In-Yer-Face.
– Clivant ce passage l’est autant par son sujet – celui du suicide du personnage Kanien – que par son statut « à la lisière de » :
–– À la lisière de la vie
–– À la lisière de la pièce
–– À la lisière du théâtre
–– À la lisière d’un millénaire.
– tentons de comprendre en quoi cet extrait charnière se présente comme l’apogée d’un « Acte final » théâtral.
–––––––
– Depuis Manque – plus encore avec 4.48 – Sarah Kane tente une refonte de la forme théâtral
– Tout est remis en question : il ne reste rien des codes qui faisaient le théâtre.
–– Pour autant, certains vestiges persistent :
––– on crois reconnaître quelques didascalies (« ouverture de la trappe », p.50 ou « Elle danse encore la froussarde » p.54)
––– une unité de lieu (l’hôpital psychiatrique)
––– une unité de temps (peut être 4h48 comme nous l’indique le titre)
––– pour cette pièce presque une certaine bienséance, tout du moins visuelle
––– S’il n’y a plus les tirets que nous avons pu croiser précédemment dans la pièce, c’est presque un dialogue interne qui persiste entre les passages à la ligne et ceux en alinéa.
– Malgré cela et au-delà de ces quelques éléments purement formels 4.48 Psychoses plus que jamais abandonne l’ecriture theatral au profils d’une poesie.
–– Comme parfois dans les poèmes, la forme physique du texte suit sa pensée.
––– La fin de la pièce correspond à la fin du personnage
––––On voit les mots disparaître sur la page à mesure qu’on le regarde disparaître, le texte tombe comme la neige noire décrite page 54
–––– On retrouve la dualité inhérente au sujet p.55 : « regardez-moi » serait dans la partie gauche de la feuille, la vie / « disparaître » dans la partie droite, la mort.
–– Comme dans la poésie aussi, les mots n’ont plus d’importance pour ce qu’ils signifient dans une trame narrative – presque inexistante ici – mais pour ce qu’ils évoquent.
––– p.52, « crâne » pourrait se suffire à lui-même
––– elle y rajoute « dévidé » à la ligne sauvante et on voit l’image du crâne aussi clairement que dans un poème de Lorca sans qu’on ait besoin de plus d’explications.
––– Mais cette image peut aussi faire sens avec « L’Enuque /de la pensée châtrée » juste au-dessus. ce pourrait être son crâne qui est dévidé.
–– Le texte ne fait pas sens par découlement de pensée, mais par emboitement d’image.
––––––––
– Mais 4.48 Psychoses à été écrit pour être dit
–– plus encore que pour être dit, 4.48 Psychoses a été écrit pour être entendu.
– Dit parce que le texte garde continuellement un rythme qui parvient à transcender la barrière de la langue et nous arrive malgré la traduction.
–– Que l’on parle des répétitions de termes, ou de sonorités, de la succession de phrases courtes, il apparait clairement que c’est un texte écrit pour les comédiens.
– Et entendu parce que Kane parle très clairement à destination d’une entité plurielle.
–– Il n’y a pas de « vous » dans une lecture silencieuse et solitaire, le « vous » n’existe que dans une assemblée de spectateurs.
– Le texte somme au personnage de parler (page 53) et au spectateur de regarder (page 55).
– C’est donc bien du théâtre d’un genre nouveau qu’il s’agit
–– poétique à n’en pas douter
–– infiniment théâtral
––––––
– S’il y a de la fulgurance et de l’urgence dans l’écriture, la pièce n’en est pas moins pensée avec une rigueur folle et une connaissance aiguë de l’art dramatique.
– La vivisection minutieuse du théâtre qu’entreprend Kane se fait en connaissance de cause et semble s’inscrire dans une histoire millénaire :
–– Pour les grecs, le théâtre était lié à la divinité Dionysos qui, comme le rappelle Claude Regy, était aussi dieu de le mort.
– Le théâtre à pour source cette mort dans les rites funéraire.
– Dans le travail du comédien aussi
–– Novarina précise dans son essai Pour Louis Defunes que l’acteur doit être « un corps mort »
–– Genet dans Le funambule lui conseille de « mourir avant que d’apparaitre et qu’un mort danse sur le fil ».
–– Le théâtre redonne vie à des fantômes, il assassine des vivants
–––––––– il est par nature à la frontière entre vie et mort
– C’est peut-être pour ça qu’il fut le médium de Kane.
– Plus encore que la mort, l’Angleterre à une grande tradition du suicide – longtemps appelé la maladie anglaise
–– Ne serait-ce qu’avec les cinquante-deux suicidés dénombrés dans ses pièces, Shakespeare, fait cas d’école.
– Le suicide fait aussi partie inhérente de l’oeuvre de Kane
–– il est présent dans toute ses pièces
–– la quasi totalité de ses personnages finissent suicidés.
– Pour certains, quand Shakespeare écrit « to be or not to be » ce n’est pas tant la possibilité entre deux chemins à emprunter que l’incapacité à faire un choix.
–– C’est cette incapacité, cette impossibilité, qui conduira au suicide.
–– On retrouve la même chose chez Kane : « oui ou non oui ou non… ».
–– Le personnage de Kane ne veut pas mourir (« aucun suicidé n’en a »), elle est dans une Incapacité à choisir et donc à vivre, tout comme l’était Hamlet.
– À l’aube du 21e siècle, Sarah Kane s’inscrit dans les pas de ses pères pour créer son oeuvre, comme l’apogée de deux mille ans de réflexion et de recherches sur le théâtre.
– Cet extrait s’inscrit dans la longue lignée des Actes finaux
–– comme dans la tragédie classique le destin était annoncé dés le départ.
– Là où se distingue 4.48 psychoses, c’est dans cet impression que la pièce est consciente qu’elle en est une.
– Il n’y a pas vraiment de procédé de jeu théâtral, d’histoire.
– On a déjà supposer plus haut que le texte était directement adressé aux spectateurs.
–– Le texte se trahit lui-même, il dit tout : « Je vous dirais comment je suis morte » (p.52) .
–– Quand Kane écrit : « Tout mon savoir / est neige / et désespoir noir » (p.511), on peut y voir une métaphore de l’écriture, l’encre noire sur la page blanche, son fardeau.
– La pièce théâtrale ne serait alors plus le lieu d’une histoire, mais un masque qu’utilise Kane pour nous parler directement.
–– Cela dit elle nous met tout de même en garde dans une déclaration abyssale de sens : « Je pense que vous pensez à moi comme je vous ai fait penser à moi » (P.54) que l’on pourrait interpréter comme, vous n’avez de moi que l’image que je veux bien vous donner de moi à travers mes pièces.
– Cette affirmation de l’auteure semble nous dire quelque chose, Sarah Kane est le personnage 4.48 psychoses, un personnage dramatique, quelqu’un qui n’existerait qu’a travers une oeuvre artistique, qui as conscience de ne pas exister réellement, mais qui est bien le sujet.
– L’esprit Kane transpire dans chacun des mots du texte. Tout est sujet à interprétation si on le regarde à la lumière de ce qu’elle nous a laissé.
–– Son rapport à dieu : elle aurait était croyante jusqu’à ses 17 ans puis aurait perdu la foi tout en précisant que pour elle c’était pire encore de savoir que dieu existe mais qu’elle n’y croit plus.
–– Cette crainte de la damnation transparait dans le texte avec une une forte connotation chrétienne : « Je gèlerais en enfer » (p.50) ou « je connais aucun pêché / c’est la maladie des grands » (p. 53).
–– Son besoin d’être aimée aussi présent dans toutes ses pièces, Manque en tête, est toujours aussi important ici : « Validez moi / observez moi/ voyez – moi » (p.53), mais en contradiction avec sa fatigue « de rechercher la foule » (p. 51).
–– Pour finir, on peut voir dans son « spasme moral inefficace / seul alternatif au meurtre » (p. 51) un résumé de la totalité de son travail théâtral. « J’écris pour moi, pour sortir de l’enfer » a t’elle dit en interview.
– Tout son théâtre ne serait qu’un moyen pour elle d’éviter le meurtre d’elle-même ( se-cide en latin).
– Là où la séparation entre l’auteure et le personnage dramatique (et public) de Kane fausse c’est tout de même que Ies deux se sont suicidés de la même manière à quelques mois d’intervalle.
– C’est une autre question de savoir si l’acte de l’auteur Sarah Kanne est un acte artistique ou non.
–– Mais il y a tout de même une distinction entre faire une dernière oeuvre parce que son auteur est mort accidentellement et composée une oeuvre en connaissance de cause
–––––– un chant du cygne
–– Le dernier album de David Bowie, Blackstar, a été écrit par un mort-vivant, tous les visuels qui l’accompagnent regorgent de références et on ne peut pas le prendre comme un album pop de plus.
–– De même cet extrait de Kane est particulièrement brulant pour le même sujet.
– On est donc en droit de se demander comment mettre en scène une telle pièce.
–– Certain ne veulent pas voir les textes de Kane joué, nourrissant un rapport intime avec l’auteure dont il ne veulent pas être dépossédés.
–D’autre comme Claude Regy ont senti une urgence à jouer ce texte, au point de reporter d’un an un projet en court.
–– Avec le seul support des pièces de Kane, on ne peut que souligner la violence, l’importance des mots, l’urgence de partager.
–– On aurait pu se voir surpris, qu’Isabelle Huppert parle aussi vite dans l’adaptation de Régy, plutôt habitué à une parole ralentie à l’extrême.
–– il voulait mettre en avant cette urgence ?
– Kane est une performance d’écriture, un théâtre coup de poing, et si le sensationnalisme des actes visuel n’est plus aussi présent que dans ses premières pièces alors ce doit être le travail sur la langue et le verbe Kanien qui doit être coup de poing.
– Kane s’inscrit dans la tradition des B-Boys anglais mais arrive après Tatcher et l’engagement politique de Bond et Baker s’est transformé en une sorte d’engagement existentiel
– Pour autant 4.48 Psychose n’est pas nihiliste, il tient plus du chant de guerre que du cri de détresse.

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