Argyro Chioti est une metteuse en scène grecque, fondatrice de la compagnie de théâtre Vasistas. Elle était artiste associée des « Théâtres » où ont été joué toutes ses dernières créations : Domino aux Bernardines en 2013 et à la Minoterie en 2014, Sangs (Emata) au Théâtre du Jeu de Paume en 2016, Apologies 4&5 aux Bernardines 2016 et La Divine Comédie cette année au Gymnase. Elle monte environ deux spectacles par an depuis 10 ans avec sa compagnie et/ou en collaboration avec d’autres troupes.
Le théâtre d’Argyro Chioti pourrait être qualifié d’holistique, c’est-à-dire qu’il met au même niveau tous les éléments scéniques : le langage, la musique, le corps et le mouvement, l’image et l’espace.
L'équipe artistique de VASISTAS est composée d’Argyro Chioti (cofondatrice de la compagnie et metteuse en scène), Ariane Labed et Naima Carbajal (cofondatrices de la compagnie), Efthimis Eou, Eleni Vergeti, Antonys Antonopoulos, Georgina Chriskioti, Evdoxia Androulidaki.
Puisant ses textes dans le monde du conte, du mythe, de la littérature, de la science, mais aussi du théâtre, la recherche de VASISTAS se développe avec une précision clinique autour de la forme d'une chorégraphie polyphonique. Elle renoue avec le modèle épique de Brecht d’un théâtre chorale ou singulier, dialogué ou narratif, interprète ou témoin.
Matéo Mavromatis : J’ai lu que la démarche de votre compagnie théâtrale VASISTAS « s’inscrit dans une logique de recherche continue en dialogue constant avec notre présent ». Vous avez autant travaillé sur des auteurs grecques contemporains (notamment le poète Efthimis Filippou dans Apologies 4&5 et Emata), que des auteurs très classiques (Dante dans votre dernier spectacle et aujourd’hui Eshylle). Dans votre dernier spectacle, vous mêlez Dante à Edgar Lee Master. De la même manière, la notion de choeur, proche de celle de l’antiquité, est importante dans votre travail, mais vous l’armez de guitares électriques dans Emata. Est-ce ce rapport (cette résonance) entre passé et présent qui vous guide dans vos choix ?
Bien sûr, c’est très important. Ma vision du théâtre, dans tout les spectacles que j’ai faits avec la compagnie jusqu’à présent ont à voir avec ça. Et c’est un constat que j’ai fait après avoir créé un spectacle, et le suivant, et le suivant. Donc après avoir créé une douzaine de spectacles. Maintenant je peux dire qu’a chaque fois, ce qui m’importe c’est : le Moi et le Nous. Donc moi et comment j’existe dans une société, dans un collectif, dans un tout. Moi et les autres. Cette dualité qu’on trouve, je pense, dans chaque spectacle qu’on a fait jusqu’à présent. Et c’est là où moi je vois se poser la question du politique. C’est-à-dire par un aspect purement existentiel. C’est ça qui m’intéresse et c’est pour ça que je pense que par exemple tous les spectacles sont presque atemporels. C’est-à-dire qu’on ne se situe presque jamais dans un temps vraiment très présent : là, de notre temps. Ou autre : une époque très précise, une période très précise. Il y a parfois quelques références qui viennent du texte comme par exemple dans Emata ou c’était vraiment des lettres écrites pendant 10 ans entre les années 80 et 90. Mais tout le reste : les décors qu’on crée, les costumes, même la narration. Même que l’on travaille avec des textes contemporains ou des classiques. Ils prennent une dimension atemporelle, universelle. J’ai besoin de toucher à quelque chose de plus profond de l’homme. De questionner sa façon d’être, sa façon d’exister dans notre société, de construire ou de constituer ce qu’on appelle une identité. Qu’est-ce que ça veut dire avoir une identité dans ce monde ? Comment tu te situes par rapport au monde qui t’entoure ? Comment on vit ? Comment on voit le monde ? La perception de l’ensemble c’est ça qui est important pour moi et pas du tout la partie anecdotique de l’aspect politique. C’est-à-dire que par exemple tout le théâtre documentaire ne m’intéresse pas parce que je ne pense pas que restant dans le même questionnement qu’on as tout les jours par tous les billets de notre vie donc la presse, la radio, les discussions – je ne pense pas que le théâtre, l’art en général, peut se permettre de perdre son aspect… pas métaphysique, mais disons qui dépasse le présent, une transcendance. Le théâtre doit questionner mon rapport au monde et toucher à une transcendance. Donc par rapport aux passées, au présent et à la question du coeur, oui forcément il faut lier le tout. Je pense qu’il faut revenir en arrière, je le vois souvent ça, j’ai besoin souvent de ça, d’arriver a faire une chute en arrière dans le passé, pour tisser les fils qui nous lie avec ce passée pour pouvoir voir plus clairement notre présent et vers où, vers qu’elle voie on avance. C’est obligé. Alors les choeur et l’ensemble tel qu’on le trouve dans les tragédies grecques par exemple ou tel qu’on le voit maintenant, pour moi, c’est la même chose : ça peut tout être, on ne sait pas vraiment, on n’a pas d’indice sur comment on représentait le choeur dans une tragédie grecque par exemple. Donc oui c’était souvent des citoyens, donc des êtres actifs à travers lesquels on mettait chaque action, chaque événement en question ou en jugement. C’est eux qui étaient les promoteurs de l’action. Selon moi c’est comme un miroir ou les êtres peuvent se regarder et avancer selon leurs images, l’image qui leur est renvoyée. C’est comme ça qu’un choeur peut fonctionner : comme un regard déformant.
Matéo Mavromatis : Restons sur le Choeur. Ce n’est pas de la danse, mais presque (dans Domino il me semble qu’il n’y avait plus de texte). Ces corps liés les uns aux autres, c’est quelque chose de plus en plus rare dans notre société. Chacun a tendance à être dans sa bulle. Pour vous est-ce un moyen de créer, de retrouver une communion perdue, une sorte de message à faire passer ?
Oui, mais pas seulement moi, autour de moi je vois beaucoup d’amis, d’autres artistes qui cherche a créée ou recrée, ou reproduire ou reconstituer sur scène des formes de liturgie, de litanie, de rituel. Je vois ce besoin de plus en plus et je l’ai aussi. Et je pense que c’est lié à ça. À quelque chose qui nous est fondamental pour la constitution d’une société et pour pouvoir nous lier à ça, à cet aspect métaphysique qu’on ne peut pas nier dans la vie. Un amis poète et dramaturge Grecque avec qui on a collaboré pour la divine comédie disais que chaque chose qui n’a pas un aspect métaphysique meurt très rapidement. Donc oui on n’a perdu dans nos sociétés l’ensemble, les communions. Et on est rentrée complètement dans un individualisme évidemment, mais n’empêche que ça nous manque, je pense, beaucoup, et on ne sait pas où est ce qu’on peut le trouver. Mais je pense que ça ne peut pas se nier. Qu’il faut le retrouver et c’est pour ça peut-être d’ailleurs que le théâtre reste vivant et pertinent et les gens cherchent est allée au théâtre, toujours. C’est que le spectacle vivant en général peut proposer ça : des formes de communion où quelque chose d’autre se passe. Ou on se concentre tous ensemble devant ou avec autre chose. Qui parle de l’humain, de comment on vie ensemble, de ce qu’on éprouve, de plusieurs choses comme ça qui on a voir avec l’existence, le moi. On cherche à compatir, on cherche cette catharsis, c’est ça. La catharsis est liée à cet aspect métaphysique. Oui même si on est devant des formes très abstraites ou s’il y a plusieurs arts, plusieurs techniques, de la musique, de la danse de n’importe quelle forme même très contemporaine, peuvent avoir ces moments intimes personnels qui va vers l’ensemble et qui pose des questions, qui déstabilise a chaque fois par rapport a ça, a comment on vie ensemble. Je cherche a créée des moments, des expérience, quelque chose qui passe par le corps. Des expériences qui ont à voir avec le pouvoir de tous. C’est clair et net que sur scène (mais aussi dans la vie) plusieurs gens ensemble ont du pouvoir, beaucoup plus de pouvoir qu’un seul ça c’est évident. Donc oui je cherche ça et c’est un beau moyen de raconter des histoires ou de toucher ou d’éprouver quelque chose d’autre. Qui dépasse ce que l’on peut éprouver dans la vie quotidienne.
Matéo Mavromatis : Vous travaillez beaucoup à partir de micros et votre rapport à la langue a quelque chose d’unique, de presque chanté dans La Divine Comédie. Comme une langue universelle. Même en Grecque cela nous parle, comme une transcendance du rythme à travers la langue. Comment expliquez-vous ce rapport si particulier au mot, ou à la langue ?
Oui c’est complètement lié à la musicalité et à la chiralité. C’est-à-dire que je traite la langue avec des termes musicaux. Et pourquoi ? Parce que, tout ce dont on parlé juste avant a avoir avec quelque chose qui ce passe sur scène et qui s’adresse tout d’abord au sens. Ça veut dire que selon moi pour pouvoir se mettre en état d’éprouver une expérience qui peut devenir cathartique et donc d’éprouver une expérience autre – disons qui fait vibrer le coeur ou le corps ou la tête – il faut trouver la façon de mettre notre corps et notre perception en état de pouvoir éprouver. Qu’est-ce que ça veut dire se mettre en état ? Pour moi ça veut dire essayer d’abord de calmer l’intellect, de calmer la logique cérébrale, de sortir de la vie de tous les jours, des habitudes qu’on a tout les jours, sortir du cliché.
Matéo Mavromatis : Sur le dépliant vous avez écrit qu’il ne fallait pas essayer de lire tous les sous-titres
Oui ça n’a pas a voir avec que le sens, mais c’est comme une voie qu’il faut prendre. Monter sur le train qui passe par le sens et qui calme un peu l’intellect pour permettre au corps en général d’aller un peu plus en profondeur. C’est-à-dire s’ouvrir pour laisser la place a autre chose de venir et de changer, de basculer un petit bout de notre perception sur quelque chose ou sur le monde. Et c’est après ce processus-là que l’intellect vient et se lie avec l’essence et peut faire de ça quelque chose d’important.
Matéo Mavromatis : Pour conclure, j’aimerais revenir sur votre parcours singulier. En quelque sorte vous êtes une compagnie européenne, artiste associée au Gymnase à Marseille, mais établie en Grèce. Votre spectacle Phobia vous a fait voyager dans plusieurs résidences à travers plusieurs pays (en Allemagne, en France, en Grèce). Pour autant j’ai l’impression que la culture grecque reste une source, une racine à la fois pour le choix des sujets et celui des auteurs. Ce pays, qui a connu une actualité très difficile ces dernières années, est-il une influence centrale de votre travail : la part de l’ouverture (qu’est-ce que changer de ville pour créer ?), la part des racines et celle de l’actualité?
Dès la création de la compagnie, à Marseille, en 2005, nous étions trois au départ : moi, une Française Ariane Labed qui fait beaucoup de cinéma maintenant et une Mexicaine Naima Carbajal. Donc on venez de toute façon de plusieurs origines, et on avait a faire (et ça, c’était très très clair pendant nos premières années, nos premiers spectacles) a la question des différentes langues : comment on communique ? Donc cette nécessité de chercher des façons de communiquer sur scène, aussi à travers plusieurs langues. Là forcement le faite qu’on voyageait, chose qu’on voulait dès le départ : c’était un désir pour justement laisser le monde rentré dans notre travail, laisser plusieurs aspects de chaque ville et être humain. Mais toujours d’une façon un peu indirecte. C’est-à-dire : je reviens à ce que je disais tout à l’heure, on parlait presque jamais de quelque chose de très concret : le naturalisme ou réalisme d’une ville, d’une personne. Mais d’une façon indirecte, oui, ça s’inscrivez sur scène, les différences et puis ce qui nous unie. Dans ma tête l’art idéal et donc le théâtre idéal peuvent toucher également n’importe qui dans n’importe quel pays dans l’univers. Parce que justement il retient quelque chose d’universel, d’existentielle, qui dépasse la vie de tous les jours. Bon, mais ça, c’est l’idéal.
Ces dernières années, oui, je fais un retour aux écritures d’Efthimis Filippou qui a la base est un scénariste et c’est avec lui qu’on a commencé toute une série de biographies donc d’écriture comptemporaine, mais qui sont basée sur des faits réels. Sur la vie d’homme. Biographie ou autobiographie. Ensuite on a lié les biographies à plusieurs formes de rituel sur scène. C’est le travail qu’on a commencé avec apologie et qu’on a poursuit a Dante c’est-à-dire que même si on change complètement de registre de langue. Apologie et un texte d’Efthimis Filippou basée sur des biographies de nous-mêmes, donc d’Hommes, ça porte quand même des traits biographiques : des dates, des métiers, mais on a amené sur scène pour lier cette langue plus biographie de la vie de tous les jours une poésie qui venait du chant d’un choeur qui était présent tout le long, d’un autre temps. Donc là, oui, consciemment on a essayé de mettre ensemble deux temps complètement éloignés. Pour justement faire mettre en place un passage. On avait même une ligne rouge qui marquer le sol et allée vers le haut de chaque mur où on jouer. Et c’était à peu près ça le trajet que chacun d’entre nous aujourd’hui doit faire vers sa passée, en arrière, pour retrouver un moi plus intègre. Ce travaille là on l’a continuée avec Dante dans une autre langue complètement, classique très dense très compliquée, mais qui reste un poème biographique. La Divine comédie est un poème autobiographique. Donc on a gardé cette idée-là et on l’a vu autrement, par la musique pour permettre à la langue d’être entendu. Parce qu’elle est si énorme et si dense cette langue que… c’est le seul moyen que j’ai trouvé dans le travail : la musicalité de la langue pour donner les tons et faire entendre cette langue.
Mon pays et les difficultés de mon pays, on a beaucoup parlé de ça ces dernières années, bien sûr. On a tourné un peu avec nos spectacles ces dernières années, souvent dans des endroits qui organisée des points forts Grèce, etc. Et donc beaucoup de gens, beaucoup de français d’ailleurs, essayer de lier ce qu’il voyait, le spectacle sur scène, à la crise. Et j’ai eu plusieurs fois à répondre à des questions qui était lié à ça. « Comment vous en tant qu’artiste vous parlée dans vos spectacles de la crise ? » Et moi et d’autre je résistais a ça toujours. Dans le sens ou bien sur il y a dans mon travail des empreintes de ma vie, et de mes racines, et de se qui est inscrit en moi que je ne connais même pas. Et il y avait tout ce poids de l’ensemble tel que je l’éprouve ces dernières années en Grèce, mais mis en oeuvre autrement, c’est-à-dire indirectement. Donc restant dans une tentative de créée une poésie sur scène, de plutôt cherchée l’aspect existentiel et ne par parler de purement politique comme on peut la trouver ailleurs sous plusieurs autres formes.