Matéo Mavromatis

Doctorant Arts et Esthétiques de la scène Aix Marseille Université

2.1. Portrait d’un acteur de la voix.

Cet article est un extrait de mon mémoire de Master : "L’acteur de la Voix, de la vibration au mouvement".

Document PDF : MEMOIRE_MAVROMATIS


Après avoir dessiné cette cartographie de voix, nous nous proposons d’en choisir quatre. Quatre voix qui formeront un corpus et qui seraient comme des guides dans notre étude. Volontairement ces voix ont été écartées précédemment puisqu’il nous reviendra dans un troisième temps de trouver les mots et les notions qui sauront faire concept de ces exemples. Ces quatre voix s’emboîtent et se complètent. Elles n’ont pas vocation à couvrir, comme précédemment, un vaste paysage de technique, de texture ou de formation différente. Au contraire, mises en résonance les unes avec les autres elles indique une certaine direction, une certaine radicalité. Il nous faut assumer une attirance pour le moment inexplicable, mais sensiblement très forte pour ces voix qui ont respiré le même air, qui se détachent des autres, qui – d’une certaine manière – nous inquiètent. Nommons-les :

  • La voix de Yann Boudaud dans Rêve et Folie mise en scène par Claude Régy d’après le poème de Georg Trakl traduit par Jean-Marc Petit et Jean-Claude Schneider. Cette pièce, la dernière de son metteur en scène, a été créée en septembre 2016 au Théâtre Nanterre-Amandiers pour le Festival d'Automne à Paris et a tourné dans une dizaine de villes de France, à Berlin et au Japon avant de revenir pour son ultime dernière au Festival d’Automne de 2018. Notons le travail à la scénographie de Sallahdyn Khatir, au son de Philippe Cachia et à la lumière de Pierre Gaillardot et Alexandre Barry1.
  • La voix de Valérie Dréville dans Médée-Matériau mise en scène par Anatoli Vassiliev d’après le texte dramatique d’Heiner Muller traduit par Jean Jourdheuil et Heinz Schwarzinger. La reprise de ce spectacle en 2017 est en faite une recréation2 : un entrainement a été effectué par Valérie Dréville avec Maria Zaykova pour le travail vocal, et Ilya Kozin pour le travail corporel. Le spectacle est joué onze fois au TNS et cinq fois au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris3. Notons le travail à la Scénographie de Vladimir Kovalchuk, au costume de Vadim Andreïev, à la lumière de Ivan Danitchev, au son de Andreï Zatchessov, à la vidéo de Alexandre Chapochnikov, à la création des maquillages de Marina Loïeskaïa, à l’assistanat à la mise en scène de Sergueï Vladimirov et aux accessoires de Tatiana Michlanova4.
  • La voix de Jean-Quentin Châtelain dans Une saison en Enfer le poème d’Arthur Rimbaud, mis en scène par Ulysse di Gregorio. Le spectacle est créé en 2017 au Théâtre du Lucernaire à Paris. Il est joué dans une poignée de petits théâtres de France avant un arrêt au Festival off d’Avignon en 2018. Depuis le spectacle n’a joué que trois soirs au Théâtre liberté de Toulon. On note la scénographie de Benjamin Gabrié, les costumes de Salvador Mateu Andujar et la lumière de Thierry Capéran5.
  • La voix de Serge Merlin dans sa lecture d’Extinction de Thomas Bernhard (traduit par Gilberte Lambrichs et adapté par Jean Torrent) mise en voix par Alain Françon et Blandine Masson. Cette lecture a été travaillée pour un enregistrement France Culture et s’est ensuite exportée pour une vingtaine de dates à travers la France et à Montréal en 2011. Pour ce spectacle nous travaillerons donc uniquement avec un enregistrement audio6.

Tentons d’éclairer les liens concrets ou plus abstraits qui unissent ces quatre acteurs et actrices, et, à travers eux, l’usage qu’ils font de leur voix.
Avant tout ce sont des acteurs qui se sont croisés, qui ont eu l’occasion de travailler ensemble. Bien sûr, trois d’entre eux ont eu un long compagnonnage avec Claude Régy sur lequel nous reviendrons longuement7. Ce n’est pas tout : Yves Chaudouët réunit Valérie Dréville et Yann Boudaud dans une résidence à la Ménagerie de verre pour son projet Il Loggiato en 2020 et dans un court métrage La Joueuse en 2018. Jean-Quentin Châtelain et Serge Merlin ont joué ensemble dans Fin de Partie mise en scène par Alain Françon8. Valérie Dréville choisira Serge Merlin dans sa distribution de la lecture de La Divine Comédie jouée en Avignon en 2008. Cette année-là, l’actrice est artiste associée au Festival et elle réunit autour d’elle cinq acteurs qu’elle a choisi pour « leur sonorité » : Michaël Lonsdale, Serge Maggiani, Serge Merlin, Redjep Mitrovitsa et Dominique Valadié9. Au-delà de ces liens de travail, ces quatre acteurs se rejoignent surtout dans une conception du jeu et du métier d’acteur. Yannick Butel associe la parole de Valérie Dréville et la voix de Serge Merlin dans un documentaire qui les réunit sous le même titre artaudien d’Acteur de Cristal10. Les voix des quatre acteurs de notre corpus résonnent des mêmes volontés et il nous faut expliciter plus en détail quelle profonde filiation les unit pour, en quelque sorte, dresser le portrait robot de ces porteurs de voix qui nous attirent. Dans ce chapitre nous ne parlerons pas seulement de leur voix comme d’un son, mais surtout comme le moteur d’une pratique exigeante et qui les définit comme acteur créateur.
Comme le lecteur l'aura perçu, nous convoquerons à nouveau Artaud pour poursuivre. Nous parlions de la philosophie de la voix chez Artaud comme libératrice des possibles pour les générations de comédien qui ont suivi. Voyons, pour commencer comment ces écrits ont trouvé des points d’ancrage, des résonances chez ses voix qui nous intéressent à travers une personnalité souterraine du monde du spectacle. Tania Balachova a travaillé avec Artaud et a confronté sa pensée à une réalité scénique. Dans un entretien accordé à Bernard Dort, elle met en perspective les possibilités pratiques des théories d’Artaud et ses limites. Si elle commence par dire qu’elle l’a « vu diriger Genica Athanasiou dont il a tiré des accents inoubliables, merveilleux»11, elle jure aussi que « c’est une chimère […] qu’il est aussi impossible d’apprendre les six et sept souffles d’Artaud en lisant ces six pages qu’il serait possible de faire une opération du cœur en ayant lu un manuel »12. C’est donc à une véritable praticienne que nous avons a faire, à une actrice comme ce mémoire aime à les définir c'est-à-dire à quelqu’un qui, sur le plateau, teste, expérimente, apprend pour remettre en question, pour révolutionner une pratique. Tania Balachova aura été actrice tout au long de sa vie et professeur de théâtre dès 1945. C’est elle qui participera à la formation, entre autre, de Véronique Deschamps la mère de Valérie Dréville, Michael Lonsdale et Laurent Terzieff dont nous avons déjà parlé, Antoine Vitez et Claude Régy13. Nous pourrions nous contenter de donner à Tania Balachova ce simple rôle de professeur de théâtre comme liant entre plusieurs personnalités de notre corpus. Osons aller plus loin et prétendons que Tania Balachova, à travers la multiplicité de ses expériences, condense avant l’heure cette figure du comédien que nous souhaitons esquisser à travers notre travail.

a) Acteurs de l’incertain, le désapprentissage.

Au sujet de sa relation de travail avec Artaud, Tania Balachova dit : « Il m’a désorientée, m’a horripilée, m’a déroutée, il m’a fait perdre pied pendant toutes les répétitions je n’ai pu me servir d’aucune de mes acquisitions, d’aucun de mes trucs d’actrice, or on n’y échappe pas aux trucs d’actrice. Je flottais dans l’inconnu. Aucune acquisition préalable ne pouvait me servir dans le travail que j’avais à faire avec lui, j’étais totalement désarmée, désarçonnée.»14 ou « J’avais appris mon métier, j’ai dû tout désapprendre. »14 ou encore « Il m’a désappris tout ce que j’avais appris de mauvais au conservatoire»15. On retrouve ces mots dans la bouche de Valérie Dréville lorsqu’elle tente de définir son travail au contact de Claude Régy. Elle n’en parle que comme une négation d’autre chose, un non-théâtre :

« C’est quelqu’un qui travaille beaucoup sur la négation, beaucoup sur le contre, Régy il est contre et c’est un moteur chez lui. Il est contre tout : il est contre le théâtre, il est contre les acteurs, il est contre la déclamation, il est contre les décors, il est contre, il est contre, il est contre. Ça, c’est une formidable énergie. Mais il faut être solide en face parce qu’il est contre vous aussi et c’est tout le temps « non ». C’est un travail de l’induction, c'est-à-dire qu’au lieu d’ajouter on enlève, c’est comme si on enlevait des peaux mortes, on enlève, on enlève, on enlève, on enlève tout l’oignon jusqu’à trouver la petite graine qu’il y a au milieu, l’essence, le presque rien. C’est pas facile, c’est pas agréable au début parce qu’on est privé de soi-même, privé de ses outils, de sa connaissance, de son désir de bien faire, de plein de choses, privées de lumière, privées de parler normalement, privées de marcher normalement, privé de tout. Mais on se rend compte qu’il ouvre un espace autre. C’est pas un espace mental, c’est pas un espace physique, c’est un métaespace, c’est un non-lieu où on se rend compte qu’on peut vivre, qu’on peut travailler, ou même on peut être libre malgré toutes ces interdictions et ces garde-fous, ces barrières. Et alors là c’est merveilleux. […] À chaque fois c’était un nettoyage, table rase, on recommence, c’était bien.»16

Dans les deux cas l’actrice est mise face à l’inconnu, elle doit désapprendre pour être au plus proche d’elle-même. Tania Balachova rencontre Antonin Artaud au cours de Charles Dulin dans les années 1920 alors qu’elle a déjà appris le théâtre au conservatoire de Bruxelles où elle fait la rencontre de Raymond Rouleau. Valérie Dréville a été élève de Claude Régy au Conservatoire national, mais elle avait déjà l’expérience d’Antoine Vitez avec qui elle avait passé trois ans d’apprentissage au théâtre et à l’école de Chaillot. Elles ont appris avant de désapprendre, mais restaient malléables lors de la rencontre. Jean-Quentin Châtelain lui se plait à dire qu’il était déjà formé lorsqu’il a rencontré Claude Régy – qu’il ne rechigne pas à appeler « son maître ». Pour lui vingt-neuf ans c’était le bon âge, plus tôt il aurait peut-être été écrasé par le metteur en scène, qui l’aurait conditionné17. Il n’aurait pas été assez « solide » pour reprendre le mot de Dréville. Jean-Quentin Châtelain s’est formé en Suisse puis surtout au Théâtre National de Strasbourg alors sous la direction de Jean Pierre Vincent. Yann Boudaud lui, présente une troisième situation, Claude Régy le repère en 1996, à l’occasion d’un stage organisé au Théâtre de Vidy et ce dès sa sortie de l’école nationale de Rennes. Ce sont donc trois acteurs qui certes ont travaillé avec Claude Régy, mais dont le rapport au désapprentissage de la technique du metteur en scène change. Maladroitement, disons que trois voix différentes apparaissent selon qu’elles proviennent d’un acteur qui confronte sa voix et sa diction aux techniques du metteur en scène, à une actrice qui adapte sa pratique à ce metteur en scène, ou à un acteur en très grande partie modelé par cette technique.
Le désapprentissage c’est aussi la remise en question, lutter contre ces « trucs d’acteur ou d’actrice ». Être dans ce qu’Antoine Vitez nommait « l’exercice perpétuel ». Serge Merlin lui, a refusé tout enseignement, toutes formations, tout modelage. Bien sûr il avait un savoir-faire, mais plus proche de celui de l’artisan, de celui qui apprend en faisant, en pratiquant. Serge Merlin avait une discipline du texte et une incertitude de l’instant. On peut évoquer le détail pas si anecdotique de la « tétine » qui lui était indispensable sur scène. Une oreillette dans laquelle sa femme lui donnait les mots du texte. Serge Merlin a travaillé, il connait tout de ce qui est dit et de ce qui n’est pas dit des pièces qu’il joue et pourtant au moment de la représentation il ne sait pas ce qui va se passer dans les secondes qui viennent. Il se maintient dans un état de désapprentissage, de dénuement de l’instant. En cela, sa pratique se rapproche de celle de Dréville et Vassilliev dans Médée-Matériau. Dréville n’a toujours répété que le texte ou les mouvements, jamais les deux en même temps pour garder dans le temps de la représentation l’incertitude de l’expérience. Il est intéressant de noter que l’acteur qui fait le choix du désapprentissage se place dans le rôle de celui qui ne sait pas, de l’enfant ou de l’idiot, il prend la voix de l’ignorant, tâtonne, cherche sur le moment : il se maintient dans un acte de création.

b) Acteur de la voix et du corps

Au sujet du travail réalisé avec Artaud, Tania Balachova dit : « Et bien je crois qu’il a éveillé en moi des forces que je ne me soupçonnais pas […] Apprendre à crier avec ma voix et avec mon corps »18 ou « il m’a appris le cri, quelque chose de beaucoup plus proche de l’état des noirs en transe. Je faisais du théâtre plus raisonnable dans la violence jusqu’au jour où je l’ai rencontré, la dissonance du cri si je peux dire […] Le cri comme expression plus que corporelle, le corps suit dans le cri.»19 Là, on entend plus volontiers Dréville parler du travail avec Vassiliev. Dans son journal de répétitions Face à Médée, elle rapporte le training physique nécessaire pour trouver l’intonation affirmative propre au travail de Médée-Matériau. Vassiliev dès l’avant-propos rappelle que « on ne peut pas passer à la technique verbale si le corps et l’énergie ne sont pas prêts »20. Et Ilya Kozin, maître d’arts martiaux et acteur dans le groupe de Vassiliev à Moscou, dit à Valérie Dréville dès le début de ce training physique : « On cherche le calme sur l'inspiration. La détente sur l'expiration. L'inspiration se fait avec tout le corps. L'expiration: à partir du centre, quelques centimètres sous le nombril. Tout le corps cela signifie : à travers la peau.»21 Dans ce spectacle, elle est assise tout du long et cela nécessite une présence physique d’autant plus importante. Mais le statut du corps dans le cri, dans son rôle de machine, d’organe physique, est remis en question. Dréville est nue sur scène et on voit son corps trembler par à-coup, la chaire de ses seins, ses bras, son cou. On pourrait penser que ce sont ses mouvements, cette machine physique, qui produit le son, mais peut-être est-ce simplement les contrecoups du cri. Dans Face à Médée, Valérie Dréville écrit : « Vous vous apercevez que vous n’avez pas besoin de forcer, d'avoir recours à vos muscles pour donner de la force, la force est remplacée par la vitesse. Le son s'envole tout seul, sans vous, et par induction, c’est lui qui fait travailler vos muscles et non l’inverse. »22 « Le corps suit dans le cri » disait Balachova. Cela va à rebours de notre conception classique du rapport voix/corps, de celui de Ferdinand de Saussure qui dit que le corps fabrique le son. Le son, la nécessité de produire un son particulier modifie le corps et la perception que le spectateur en a. On pense au visage de Yann Boudaud dans Rêve et Folie, tordu par les sons qu’il avait à prononcer. Cela le marquait d’un profond et permanent rictus. La paupière toujours close, on pourrait croire à un masque. C’est un effet voulu par Claude Régy qui l’accentue par un travail des lumières23. Le son traverse le corps, le secoue et l’acteur doit se laisser faire. Le cri, la voix meuvent le corps, elles le racontent. Même quand il lit Extinction Serge Merlin garde une bonne distance avec le micro, comme si la force physique de son souffle était trop violente, risquait de heurter l’appareil.
Tania Balachova devenue professeur insiste beaucoup sur la technique, sur des exercices physiques très concrets, d’articulation, de respiration. « Il faut faire un travail technique […] il faut faire des gammes »24. Pour Antoine Vitez les exercices qu’elle propose permettent de lutter contre « la tyrannie du sens »25. C’est quelque chose qui nous séduit dans le cadre de ce travail. Cela prenait la forme d’un jeu dans le sens le plus enfantin du terme. C'est-à-dire dans un premier temps avec des règles faussement psychologiques qui cachaient avant tout un entrainement du corps par le son. En plus de permettre de détacher le son du sens, ces exercices semblaient permettre de détacher le corps du sens et le corps de son.
Les acteurs de notre corpus ont une corporalité en dissonance avec leurs voix. Que ce soit la stature forte et terrienne, presque bovine de Jean-Quentin Châtelain qui nourrit une voix lointaine et naïve, ou au contraire la carcasse tremblante et creusée de Serge Merlin qui donne sa force à une voix nerveuse et sans concession. C’est certainement ce contraste qui a intéressé Alain Françon dans sa mise en scène de Fin de Partie réunissant les deux hommes. Châtelain jouait Clov et Merlin Hamm.
Dans les spectacles de notre corpus, l’amplitude de mouvement pour chaque acteur est minimale : Valérie Dréville et Serge Merlin sont assis, Yann Boudaud et Jean-Quentin Châtelain campent debout au centre du plateau. Pourtant la présence physique de chaque acteur et la force qu’ils donnent à chacun de leurs infimes mouvements rend leur performance corporelle d’autant plus impressionnante qu’elle est condensée. En fin de compte la voix est liée au corps et on n’entend pas les dissocier, mais cette relation est sûrement plus complexe qu’elle n’y parait et si, pour l’acteur, le son vient autant de son corps que d’un ailleurs plus intérieur alors le corps est sans doute un moyen d’accéder à cette intériorité d’où puiser la voix.

c) La voix des rêves.

Tania Balachova dit qu’Artaud lui a appris qu’au-delà de toute technicité il y avait autre chose de plus mystérieux, mais d’absolument nécessaire au travail de l’acteur : « Il est certain qu’il faut un jour ou l’autre apprendre que la passion, la psychologie et la technique ne suffisent pas, qu’il y a des choses souterraines qui doivent servir aux acteurs et ces choses souterraines [Artaud] me les a apprises… enfin il ne me les a pas apprises, on ne peut pas les apprendre, mais il m’a fait comprendre qu’il fallait laisser venir […] faire surgir, pour moi le metteur en scène c’est une sorte de sourcier, qui fait affleurer les choses qu’on a en soi, c’est pas un professeur, c’est pas un dictateur. »26 Cette recherche des « choses souterraines » c’est finalement ce qui a fait la spécificité de Tania Balachova. Ça a nourri sa vision du comédien et l’a convaincue qu’il fallait « Laisser naître les choses chez l’acteur avant de lui demander la réalisation »27. « Leur apprendre à ne pas montrer ce qu’ils veulent faire, mais à se laisser faire par l’imagination. Je pense qu’il y a un stade où il faut rêver le rôle et pas l’exécuter. Et il faut se tromper, il faut déborder, enrichir le rôle de tas de choses complètement inutile.»28 Ici encore on voit très distinctement les premières pierres de ce que sera le travail de Régy. Ces choses souterraines Claude Régy les a cherchées dans le rapport à l’inconnu du texte dans son non-dit. Il nourrit ses acteurs29, les gave avec toutes ses connaissances, tout son imaginaire, puis les invite au rêve. Jean-Quentin Châtelain témoigne de ce travail: « Ce qu’il nous apprend dans l’extraction, dans l’exégèse d’un texte… avec Ode Martime c’était fabuleux parce que lui il a tout lu autour de Pessoa, il met des années avant d’aborder ce truc. Il a du y réfléchir, en rêver beaucoup, rêver beaucoup, il nous dit il faut beaucoup rêver, et tout l’apport qu’il nous donne de son imaginaire, on a besoin de rien faire avec Claude, on est sur le plateau et c’est lui qui nous parle.»30 Valérie Dréville parle de sa rencontre avec le metteur en scène au conservatoire où ses méthodes détonnaient : « il nous disait "écoutez arrêtez, arrêtez de jouer sans arrêt comme ça, ça suffit, mettez ça au vestiaire et juste rêvez à ce que vous dites et c’est tout" Et c’est la récrée, c’était un tel soulagement ! »31. Ce gout de l’enrichissement du rôle par « un tas de choses complètement inutiles » Valérie Dréville l’a gardé lors de la première création du rôle de Médée. Pour elle très clairement Médée n’est pas un personnage, c’est une figure. Elle a voulu documenter cette figure culturellement, historiquement. « Je m’étais beaucoup nourri d’influences comme celle de Pasolini, d’Apollonius de Rhodes, de tout le mythe. J’avais beaucoup d’images dans la tête et Vassiliev avait laissé faire ça »32. C’était un travail pour elle-même, peut-être pour nimber Médée d’une aura particulière. Pour la seconde création, bien qu’elle la décrive comme plus austère, plus de technique pure, elle raconte tout de même qu’elle a été nourrie par une photographie.

« Dans le training verbal, tout à coup Vassiliev s’est souvenu qu’on avait oublié un élément important c’était le sourire intérieur. Il a dit : « Ah ! On a oublié le sourire intérieur ! » Alors que c’était presque l’essentiel. Et j’ai cherché sur internet des trucs sur le sourire intérieur (parce que je fais souvent beaucoup de recherches comme ça) et je suis tombée sur une photo d’une petite fille qui souriait, qui riait et j’ai vu ce truc et je me suis dit : « Bon sang, mais c’est bien sûr ! » Et tout s’est ouvert. J’ai fait toutes les représentations de ce spectacle, je la regardais avant de monter en scène, j’avais mon téléphone, je l’avais capturée, je regardais : « c’est ça ! C’est ça ». Je rentrais avec et à chaque fois que je sentais une difficulté je me ressouvenais du truc et pfiouuuu…»33

Dans cette recherche de la nourriture intérieure, on retrouve la marque de Stanislavski. « Stanislavski et Artaud ce sont les deux pôles les plus opposés et les plus importants pour moi »34 dit Tania Blachova. Bien sûr comme Anatoli Vassiliev35 ou d’une autre manière Jerzy Grotowski, Tania Balachova n’est pas élève de Stanislavski elle en est l’héritière, elle l’interroge, confronte ses recherches sur le théâtre à sa propre expérience. Laurent Terzieff souligne ce stanislavskisme sans dogmatisme36. Balachova confronte une théorie du jeu à une pratique au plateau, plus encore, elle confronte le travail russe à un jeu français. À travers l’actrice Valérie Dréville, on peut aussi se demander à quel point le théâtre français, sa tradition, son public ont influencé les choix d’Anatoli Vassiliev sur Médée-Matériau. Ce spectacle ne ressemble à aucun des autres qu’il a monté en Russie, il ne ressemble pas non plus d’une autre manière au spectacle qu’il a mis en scène pour la comédie française. C’est un spectacle hybride, transculturel. Pour Antoine Vitez c’était une hybridité semblable qui a amené Tania Balachova à la modernité :

« Je crois que j'ai été chez Balachova poussé par l'idée de la modernité. Nous avions l'impression - Garrel et moi - qu'il y avait là de la modernité. Quelle modernité ? La modernité. Pour nous, les cours traditionnels étaient tout à fait inimaginables. Et les cours du Vieux-Colombier étaient bons, mais finalement dans le genre traditionnel. Ce n'est pas un hasard si la modernité plus grande était incarnée par des gens d'origine étrangère. Je pense que je ne me trompais pas. L'influence de Balachova a été immense et Balachova a influencé et influence toujours le théâtre. Elle a apporté au théâtre un regard nouveau sur l'acteur. Strictement inspiré par Stanislavski. Je pense que Balachova avait génialement compris l'enseignement de Stanislavski, et son propre enseignement était strictement stanislavskien. Je me rappelle ses cours. J'ai l'impression d'avoir vraiment vécu l'enseignement de Stanislavski tel que, depuis, j'ai pu le lire. Il y a peu de différences entre l'enseignement de Stanislavski et ce que disait et faisait Balachova, qui elle-même ne l'avait pas connu, mais qui était nourrie de cette culture. »37

Valérie Dréville souligne la connaissance de Stanislavski chez Antoine Vitez qui se révèle à elle lors de sa rencontre avec Anatoli Vassiliev : « J’ai découvert quelque chose que j’avais pressenti, pas rencontré frontalement, chez Vitez parce que c’était quelqu’un qui connaissait très bien l’école russe, Stanislavski, l’histoire de la Russie, l’histoire du théâtre en Russie, etc. Ça passait à travers son enseignement, mais d’une façon assez libre, pas rigoureuse mais d’un fait exprès »38. L’expérience de Stanislavski par Dréville est très intéressante parce qu’elle brise le préconçu qui entoure ce théoricien du jeu. Elle le retrouve dans la pratique de Vitez et de Vassiliev, mais aussi d’Ostermeier et de Lupa, chaque fois d’une manière différente et chaque fois pour un objectif différent39. La théorie voyage, se confronte sans cesse à l’ailleurs, se transforme, rencontre d’autres pratiques. L’illustration la plus claire de ce processus nous est offerte par Jerzy Grotowski qui en 1969, 3 ans après sa création du Prince Constant, part au Nigeria, en Haïti, en Amérique centrale, en Inde pour son projet de « Théâtre des Sources ». La pensée de Stanislavski, interprété par Grotowski est confrontée à un théâtre rituel. D’une certaine manière des acteurs ou actrices comme Valérie Dréville condensent en leurs seins cette confrontation. Ce choc entre l’origine, l’appris et l’ailleurs est un combustible pour l’acteur. La confrontation entre ce qu’il est – en temps que personne qui a un passé et un héritage –, ce qu’il sait du métier – sa connaissance de la scène, son intuition, son expérience – et ce que le metteur en scène ou l’auteur (ou autre) lui amène de nouveau, d’inconnu. Il n’y a, à première vue, aucun lien entre l’écriture de Thomas Bernhard et celle de Samuel Beckett, mais Serge Merlin y trouve une même nourriture poétique en quantité suffisante pour qu’ils aillent les confronter à la scène. Il n’y a pas plus de lien entre Claude Régy et Anatoli Vassiliev, mais Valérie Dréville trouve chez eux la même exigence, le même devoir de théâtre. L’acteur est le lieu de l’hybridation tout comme le théâtre. Hybrider le théâtre le place dans un non-lieu, inidentifiable, dans un ailleurs, dans cette espace du rêve. Et dans cet espace l’acteur peut rêver.
Quelle est la voix d’un rêveur ? On raconte que dans Intérieur de Maeterlinck, une mise en scène de Claude Régy travaillée avec des acteurs japonais, un enfant était couché sur scène, qu’il s’endormait et restait là jusqu’à la fin du spectacle où il fallait le réveiller pour montrer au monde qu’il n’était pas mort. La ligne entre ces deux états est finalement si fine que la confusion est vite faite. Le spectateur qui s’endort au théâtre, à défaut de respecter les conventions, connaît cette sensation d’entre-deux. Plongé dans un état de mi-veille, il ne lui reste comme ancrage au présent que l’ouïe qui l’emmène déjà sur un terrain autre. Dans cette brèche, entre la conscience passive et l’endormissement éteint, s’ouvre un monde, trop vite quitté, comme un paysage à la fenêtre d’un wagon. Il y aurait pourtant tant de choses à en dire : la représentation ne se passe pas sur scène, au lointain, mais à l’intérieur de soi. Ce monde est tout entier composé de son, de rythme. Les voix qui résonnent ici n’appartiennent plus à personne, ni acteur ni personnage : elles s’entremêlent, se répètent, se superposent. Elles ne veulent plus rien dire. Pourtant, si le train ralentit, assez pour laissé le temps au spectateur de prendre conscience de ce paysage à la fenêtre, peut-être lui apportera-t-il un éclairage limpide sur ce qui est réellement en train de se jouer dans ce théâtre. Le spectateur pourra alors être tenté de retrouver ailleurs cette sensation de monde vocal. Il se mettra alors en quête de ces voix qui incitent au rêve, ces voix de rêveurs… Est-ce que Jean-Quentin Châtelain rêve Une saison en enfer, les yeux fermés au milieu de la scène, le corps dodelinant lentement de l’avant vers l’arrière comme pour s’autobercer ? S’il est le rêveur, on ne voit pas ce qu’il rêve, les images qui l’habitent. On est spectateur d’un spectacle auquel nous n’avons pas accès. Seule la voix témoigne de ce qu’il se passe à l’intérieur de l’acteur, de l’autre côté. Si le rêve est doux la voix l’est aussi, s’il est inquiétant la voix devient nerveuse, si c’est un cauchemar la voix gronde, se fait suppliante ou effrayée. Petit à petit la voix fait voyager le spectateur, l’emporte avec elle, le convie au décrochage, à la perte du sens. Et Yann Boudaud ? Peut-être n’est-il même plus le rêveur, plutôt un personnage de rêve. Lui aussi les yeux fermés, tâtant du bout de ses doigts les limites du cauchemardesque Rêve et Folie. N’a-t-il pas dans la voix, à force de rêverie, à force de fréquentation de ce monde, ce qu’aucun éveillé n’a jamais entendu ? La voix des rêves.

d) Conflicutalité créatrice

Au sujet de son travail avec les comédiens, Tania Balachova révèle qu’elle procède de deux manières : « Par la confiance, par les stimulants à l’imagination et ensuite, et ce n’est pas voulu chez moi, par la colère. Il arrive un moment où l’élève me met en colère, dans une colère rouge-noir et très violente, qui fait que l’élève se met à pleurer, j’ai honte, mais je continue, et, après avoir pleuré, tout à coup l’élève s’abandonne et se livre, et nous nous réconcilions. Et tout ça n’est pas concerté, tout ça vient parce que je sens que l’élève est sur le bord d’apparaître et ça m’exaspère. »40 Elle confie aussi au sujet de sa relation avec le metteur en scène : « Le vrai sens s’obtiendra par la bagarre entre le metteur en scène et moi, je ne peux pas travailler avec un metteur en scène mou, j’ai besoin d’un metteur en scène qui veuille, que moi je veuille autre chose et finalement de cette espèce de combat, de cette partie de tennis, naîtra la vraie partie. »41
La notion de combat entre le directeur d’acteur et le comédien semble donc au centre du travail de création pour Tania Balachova. Le témoignage des acteurs de Claude Régy corrobore cette hypothèse. Si la relation entre Jean-Quentin Châtelain et Régy est ouvertement conflictuelle42, celle entre le metteur en scène et Yann Boudaud pourrait être plus intéressante encore si motrice de l’acteur dans son rapport au jeu et au plateau. Entre l’opéra Carnet d’un disparu en 2001 et La Barque le soir en 2012, onze ans se sont écoulés durant lesquels Yann Boudaud a quitté le monde du théâtre pour prendre du recul par rapport à son travail avec le metteur en scène avant de revenir vers lui43. La relation entre Yann Boudaud et Claude Régy plus encore qu’aucune autre cristallise cette tension entre l’acteur et le metteur en scène. Boudaud est et restera aux yeux et aux oreilles du monde théâtral le dernier acteur de Régy, son plus fidèle porte-voix et son comédien le plus discipliné44. Lorsqu’on l’entend ensuite dans d’autres pièces, on ne peut s’empêcher de reconnaître certains accents dans son jeu. Des accents qui sont ceux de Yann Boudaud pas de Claude Régy, mais que le travail au contact de ce metteur en scène a si bien mis en valeur qu’il les a donnés à entendre à tous. Une fois que l’on a entendu la richesse de cette voix on ne peut plus la désentendre.
Au-delà d’un travail de répétitions qui nous est décrit comme intensément laborieux45 il y a, dans l’idée même du théâtre de Régy, une incapacité à s’accomplir pour le comédien. Claude Régy prête à ses spectacles une responsabilité immense qui dépasse de loin le cadre du travail théâtral et il charge les acteurs de cette responsabilité46. Avec sa mort approchant, la dimension testamentaire du travail de Régy incombait aussi à Yann Boudaud47 alors même que ce travail relève de l’incertain, de l’inconnu, de l’impossible. Tous les acteurs qui ont travaillé avec lui témoignent d’une non-maitrise de la qualité de la représentation : certain soir Régy estimait que c’était réussi, d’autre soir non sans qu’ils ne sachent vraiment dire pourquoi. Régy place ses comédiens dans une situation impossible, son théâtre est un objectif plus qu’une réalisation, c’est une frustration pour ceux qui le travaillent48. Le public certainement ne verra rien, seuls quelques connaisseurs avisés sauront déceler que ce soir-là tout n’était pas au point. Un acteur ne monte pas sur scène tout en sachant qu’il échouera à tous les coups sauf à être expressément soutenu, qu’il soit rassuré, que la responsabilité soit commune, portée par l’acteur et par Régy, présent à toutes les représentations. Yann Boudaud est l’acteur à qui Régy a fait défaut, que Régy n’a pas pu accompagner jusqu’au bout.

« Dans le travail avec Claude, c’est capital de savoir ça : savoir que rien n’a été trouvé, rien et si on a l’impression à un moment d’avoir trouvé quelque chose, c’est déjà passé déjà fini. Ce qui arrive, c’est la prochaine exploration. Y compris dans la réussite et dans le sentiment d’avoir réussi quelque chose, il y a toujours ce besoin de vigilance permanent : c’est réel, mais je ne peux pas me reposer dessus, absolument pas. Je peux avoir du plaisir à entendre quelqu'un me dire que ce travail l’a bouleversé, mais je ne peux en aucun cas le croire. Quand plusieurs représentations successives correspondent à peu près à ce qu’on recherche, du moins d’après nous, ça commence à être flippant. C’est étrange de penser comme ça, pourquoi ça ne continuerait pas à être à peu près ce qu’on recherche après tout. Il y a presque un affolement à un moment donné, se dire que bon, là pour l’instant, dans nos échanges et nos discussions on tombe à peu près d’accord. »49

S’ils sont d’accord alors c’est que quelque chose ne va pas. On pourrait être tenté de parler de Claude Régy comme d’un metteur en scène « dictatorial », mais ce serait négliger chez lui la volonté de s’entourer d’acteurs insoumis. Si Yann Boudaud est discipliné, il l’est bien plus vis-à-vis du travail que du metteur en scène.Il parle de son travail, de ses propositions et en parallèle du travail et des propositions de Régy comme deux visions différentes, mais qui sont amenées à se rencontrer :

« Depuis un an et demi – deux ans je sens que son énergie décline, qu’il y a quelque chose qui s’allège peut-être dans son rapport au travail, dans son rapport à sa propre volonté de maintenir un cadre aussi puissant. Le cadre est toujours là, mais la volonté a tendance à commencer à s’évaporer. Ça a un impact sur le travail : c’est comme s’il autorisait de plus en plus une forme de fluidité dans la manière de jouer, comme s’il me laissait vraiment faire le travail maintenant. Il m’a toujours laissé faire le travail, mais maintenant ça prend une autre coloration. »50
« Aujourd’hui ce n’est pas que je suis moins respectueux du cadre, c’est autre chose qui se passe, cela ne se pose plus en ces termes. Mais globalement je me sens infiniment plus libre que quand j’ai commencé à travailler avec lui. C’est parce que j’ai évolué, je pense, et lui aussi. […] Sur ce spectacle de La Barque le soir, tout ce travail sur le prolongement des sensations à travers le mouvement vient de moi. Claude ne me l’a jamais demandé, c’est moi qui lui ai proposé pour une raison très simple. Quand on a commencé à travailler dans ce décor il m’a dit écoute, j’aimerais vraiment que tu sois à cette place centrale. Moi, je n’aime pas cette place centrale, c’est trop exposé, j’aurais plutôt tendance à aller sur les côtés. J’ai trouvé ce moyen, de bouger. Ce n’était pas une manière de contourner, il n’y avait aucune provocation, mais c’était plutôt : comment faire avec cette demande de Claude. S’il me demandait ça, c’est que pour lui ça avait quelque chose de fort, qu’il voyait quelque chose que je ne voyais pas. Il disait, cette place centrale, elle fonctionne parfaitement. Je sais que c’est quelqu'un d’intuitif, je ne pouvais pas refuser sous prétexte que ça ne me plaisait pas. J’ai donc accepté ça, mais par contre j’ai trouvé autre chose. J’ai trouvé ma manière d’occuper cette place, ma manière à moi d’être là, en bougeant, en faisant ma vie avec cette place. C’était une rencontre entre Claude et moi à ce niveau-là, qui a eu lieu alors qu’on était pas forcément d’accord. On retrouve cette histoire de conflit, de quelque chose qui se passe. Pour moi, la liberté je l’ai trouvé à cet endroit par exemple. »51

Yann Boudaud n’emploie pas le mot « maître » au sujet de Claude Régy, comme Valérie Dréville ou Jean-Quentin Châtelain sont très souvent amenés à le faire, alors même qu’il est peut-être le plus à même d’employer ce terme. Trop à même peut-être, il est celui qui doit s’affirmer comme acteur à part entière, comme créateur. Souvent on l’entend même éviter d’affirmer l’évidence : quand Sabine Quiriconi commente « Ta vie de comédien est extrêmement liée au parcours de Régy. », il répond « Mon parcours est fait de ces ruptures, de ces besoins d’arrêter, de reprendre, de vivre, de voir les choses d’une autre façon, je crois que c’est ça qui caractérise un peu mon parcours. »52 Alors qu’objectivement sa vie de comédien jusqu’en 2016 était plus qu’extrêmement liée à Claude Régy. Il est l’acteur qui parle aussi de la manière la plus cartésienne du travail avec Régy, il n’est plus question de mystère, d’inconnu, de transe, mais d’exercice physique, de lecture du texte à la table, d’indication sur le rythme, de raccord lumière. L’expérience que fait Boudaud du travail de Régy est très différente de celle de Châtelain. Le rendu final semble sur la même ligne, comme creusant un même sillon, mais certainement Régy n’a pas la même relation de travail avec les deux acteurs. On pourrait accuser Yann Boudaud de faire preuve de laxisme à travers cette prise de recul vis-à-vis du travail de Claude Régy – et peut-être à travers lui d’une certaine ascèse. Il serait plus intéressant de le voir comme une réappropriation de l’oeuvre par l’acteur qui s’engouffre dans toutes les brèches laissées vides par l’absence grandissante du metteur en scène. De la conflictualité naît la créativité, Rêve et Folie est peut-être le lieu d’un conflit entre l’inestimable héritage Regien de Yann Boudaud et son envie d’émancipation. Entre sa nécessité de travailler avec la seule personne qui pouvait lui offrir un travail aussi exigeant tout en souhaitant être ailleurs, sortir du mythe Régy, ne plus être acteur de, mais tout simplement acteur. Plus qu’un conflit avec Régy c’était peut-être un conflit intérieur qui a animé Yann Boudaud dans la création de ce spectacle.
Au-delà de l’exigence extrême des répétitions, la relation entre Anatoli Vassiliev et Valérie Dréville semble, sur le temps du travail, très strictement professionnelle. Dans Face à Médée, Valérie Dréville raconte l’anecdote des anniversaires :

« J'ai le trac. “On fait une pause, et on fête ton anniversaire !” Depuis que nous nous connaissons, pas une seule fois Vassiliev n’a manqué de m'envoyer un mot pour mon anniversaire. Les Russes ne manquent aucune occasion de fêter un événement. Natacha a amené un bouquet de fleurs, du champagne.
Encore un flash-back, je me rappelle cette répétition du dix mars 1991, au Théâtre Récamier, à Paris, où nous répétions Bal masqué. Je ne sais comment il avait su que c'était le jour de mon anniversaire, et comme aujourd’hui, vingt-six ans plus tard, on arrête tout et on fait la fête. Dans ces moments-là, il change complètement, il devient drôle, joueur, détendu. On passe un beau moment, on finit bien avant l'heure et je rentre chez moi heureuse, pleine de ce moment de chaleur, de tendresse.
Durant le travail, nos relations ne sont pas basées sur les affects. Mais en un instant, lorsque nous passons d’une réalité à l’autre, je le retrouve comme quelqu'un de proche, d’intime. »53

On pense aussi à la lettre qu’il lui fait parvenir pour savoir si elle est prête à reprendre ce travail physiquement et mentalement qui n’était tendre ni pour la femme ni pour la comédienne. Alors que Valérie Dréville est en difficulté dans le travail, Vassiliev fait naître le conflit au sein de l’actrice, il lui demande de choisir entre lui et sa pratique exigeante et les autres metteurs en scène avec qui Valérie Dréville a travaillé et qu’il juge plus laxistes : «  Tu es en conflit avec deux méthodes de travail opposées, celle que tu as pratiquée pendant onze ans, et maintenant, une nouvelle technique ».54 Certainement sait-il que c’est un terrain sensible chez l’actrice. Elle doit trancher, être plus radicale, choisir la radicalité. Comme Tania Balachova le pressentait, à travers la confrontation le metteur en scène cherche à provoquer l’acteur, à le pousser à donner plus, à donner tout, à se battre lui aussi. De cette remarque sur la conflictualité entre les méthodes de travail, Anatoli Vassiliev fait dire à Valérie Dréville : « Oui, je crois que j'ai confiance dans le travail, en vous, en moi, et puis, je l'aime ce travail, il n’y a pas de raison que je perde confiance. ». À un autre moment du travail, elle raconte une confrontation directe entre elle et le metteur en scène, cette confrontation l’amène à une « désinvolture », c’est-à-dire à un lâcher-prise que l’actrice Valérie Dréville recherche beaucoup :

« Vassiliev interrompt la répétition : C’est la crise. Il explose. Il dit que c'est impossible de faire comme ça, il prend à témoin Ilya, tous ses collaborateurs. Je me sens humiliée et abandonnée, mais cette fois, je n’ai plus envie de pleurer et de me lamenter sur mon sort. C’est plutôt une colère froide. Je lui dis, en russe : “J'ai besoin d’aide.” Je répète ça en boucle, je n’ai rien d’autre à dire. Je me lève enfin de ce trône de torture et je vais dans ma loge. Vassiliev me rejoint, je ne peux plus contenir ma colère. Nous nous affrontons, pour la première fois depuis que nous nous connaissons, depuis plus de vingt ans. Nous trouvons un accord : nous allons reprendre la répétition, et recommencer le filage. Je retourne en scène avec cette colère froide et une certaine désinvolture, maintenant tout m'est égal et je n'ai plus rien à perdre. »55

Finalement Vassiliev résume bien cela : « Nous avons des intérêts différents : toi tu dois veiller à ta liberté d’actrice, et moi je dois mettre des limites, chacun son rôle. Toi, tu dois enregistrer ce cadre, mais aussi, l'oublier, le travail de toute façon va laisser son empreinte, et tu dois l’oublier parce que ta nature va le faire un peu différemment, mais de façon tout aussi juste. »56 Le cadre est obligatoire pour arriver à un travail ambitieux, mais si l’acteur est trop soumis au cadre alors il va se faire écraser par celui-ci. Le metteur en scène tout en mettant en place le cadre doit veiller à ce que l’acteur se révolte, lutte contre celui-ci : pour qu’il reste en vie.
Pour Serge Merlin le conflit est ailleurs, peut être plutôt dans son rapport à la scène. Quand on lui demande si le plateau de théâtre est le lieu du bonheur Merlin réagit vivement par la négative : « Ah non ! Ah non ! Ah non ! C’est tout sauf un bonheur… Seulement c’est tout ça puisque c’est tout le reste, mais c’est d’abord tout le reste, c’est un dire un endroit d’horreur quoi, d’horreur pure.»57. Et si on lui demande s’il est là pour lui, il répond de la même façon « Non ! Ah non je ne serais jamais là pour moi. Ah ça, pour moi, c’est pas là que je viendrais ! Oh, mais non, alors là, le théâtre, mais quelle horreur ! »58 Et pourtant il y a une attractivité qui le pousse irrémédiablement sur le plateau. Yannick Butel choisit d’ouvrir son documentaire Acteur de cristal par les mots de Dréville sur la peur : « On a toujours peur quand on commence. Après aussi, mais elle change. »59 L’actrice parle de son trac dans Face à Médée : « J'ai le trac : ce trac me ramène aussi au passé. C'était un trac au-delà du raisonnable, à la mesure de l’entreprise : impossible. »60. « À chaque fois la même sensation : un saut dans le vide. »61. Jean-Quentin Châtelain lui aussi compare ça à l’adrénaline d’un saut en parachute62. L’acteur a peur de la scène et pourtant il y retourne toujours. Nous écrivions plus haut, au sujet des acteurs de Régy, qu’il semblait irréaliste qu’un acteur monte en scène tout en sachant que le travail qui lui était demandé était impossible, que sans un metteur en scène de la trempe de Claude Régy il n’irait pas. Que ce soit par la provocation ou par la colère de l’acteur peut-être que le metteur en scène au travers de cette conflictualité se substitue en partie à la peur du plateau. L’acteur qui aime et hait son metteur scène réduit peut-être d’autant l’amour-haine que tout comédien aura pour le plateau de théâtre.

« Je parle à Ilya de la peur. Ilya me dit que lui aussi a peur.
Un jour il demande à Vassiliev : « Je vous connais depuis quinze ans, et lorsque vous apparaissez mon coeur commence à battre plus fort. Pourquoi ? » Vassiliev a répondu : « Et alors ? Tu crois que je n’avais pas peur, moi, quand je rencontrais mon maître ? 
Ilya a une théorie à ce sujet : le maître apporte un danger.
— "Tu passes toutes les répétitions avec ce danger en face de toi, tu t’ouvres à ce danger, et quand arrive la première, tu n'as plus rien à craindre, le pire est derrière toi ! »63

e) L’acteur savant

Tania Balachova a trouvé du sens dans sa recherche d’actrice en enseignant « ça se nourrit des mêmes matières cérébrales, les cours et le jeu. »64 « Les élèves m’apportent plus que je ne leur apporte : c’est que quand je travaille avec les élèves, je joue.»65 Mais si on lui demande ce qui lui a le plus apporté, elle répond sans hésiter « Jouer ! Ni mettre en scène ni enseigner mais jouer.»66 Au sujet d’un théâtre d’expérimentation Valérie Dréville fait le même constat :

« C’est très important dans notre métier la recherche parce qu’on a de moins en moins l’occasion de pouvoir le faire parce que les réalités de production prennent le pas et au bout d’un moment on ne peut plus s‘interroger sur notre rôle d’acteur parce qu’on doit produire. […] Il faut trouver une manière de résister contre cette dictature du résultat parce que c’est nocif pour le travail, pour le processus. Alors c’est pas évident : où trouver cet espace ? Moi je le trouve maintenant comme intervenante dans les écoles, dans la transmission, mais pas que. Il me faut me trouver dans cet espace en tant que comédienne. ».67

Quelle place donner à Tania Balachova dans l’histoire du théâtre français ? Pour le moment elle n’existe que par le témoignage qu’en donnent ses anciens élèves. Pour le moment l’histoire retient surtout le nom de grands metteurs en scène ou de grands théoriciens. Pourquoi ne retiendrons-nous pas le nom de Tania Balachova ? Est-ce à cause du manque d’écrits renseignant sa pratique ou bien à cause du peu de crédibilité d’une théorie du jeu de l’acteur basée en grande partie sur le rêve ? Est-ce parce qu’elle n’était finalement qu’une professeure de théâtre parisienne comme il y en a tant d’autres et qui a juste eu la chance de voir défiler sur ses planches quelques acteurs plus tard reconnus ? Peut-être finalement n’est-ce qu’à cause du fait qu’elle ait été avant tout une comédienne et que notre modernité prête plus de crédits aux écrits qu’à ceux qui donnent de leur voix. Nous avons pris le pari, le temps de ces quelques pages, d’imaginer qu’une actrice, dans sa pratique du métier, apprend et nourri un savoir, une connaissance profonde du théâtre. Que dans un cours de théâtre, une professeure peut avoir une pratique radicale, moderne et dont le savoir va résonner longtemps dans le monde théâtral. Que, peut-être, modestement, cette actrice, Tania Balachova, a, à l’écoute du plateau, commencé le croquis de ce que sera l’acteur qui nous intéresse ici : l’acteur de la Voix.
On pourrait voir Valérie Dréville comme simple témoin du travail de Lupa, d’Ostermeier, de Castelluci, de Régy, de Vassiliev, de Vitez, de Françon ou la considérer comme une actrice somme qui s’est construite de l’incompatibilité des pratiques de tous ces metteurs en scène. Qui a nourri une théorie de l’Acteur qui fait certainement d’elle l’une des personnalités les plus savantes du théâtre contemporain. On ne s’éloigne pas de notre propos sur la voix : Valérie Dréville n’utilisera jamais les mots de ceux qui savent pour définir son travail. Face à Médée ou Acteur de cristal sont des documents rarissimes et précieux ou l’actrice nous parle directement avec nos mots. Autrement, pour apprendre d’elle, il nous faut emprunter des chemins de traverse. De la même manière, il nous est très difficile de parler de Serge Merlin dans l’exercice qui est le nôtre, c'est-à-dire dans la description des acteurs, de leurs profils, de leurs pratiques plutôt que dans la réception de leur jeu. Serge Merlin même en entretien, même hors scène reste ailleurs, il n’est pas vraiment là. Peut-être en apprendrons-nous plus sur eux et sur ce qu'ils ont à nous dire du théâtre à l’écoute de leurs outils, de leur art, de leur voix.
Enfin rajoutons que les acteurs de notre corpus ont fait des choix, des choix professionnels et artistiques, des choix ambitieux. Le choix de Valérie Dréville de travailler et retravailler avec Vassilev. Le choix de Jean-Quentain Châtelain de travailler et retravailler la forme monologique par quinze fois68. Le choix pour Yann Boudaud de travailler et retravailler le théâtre de Régy. Enfin le choix de Serge Merlin de travailler et retravailler certains auteurs, Samuel Beckett et Thomas Bernhard. Il ne nous faudrait pas réduire les relations de fidélité qui lient chacun de ces acteurs à des metteurs en scène, des auteurs, des formes à une sorte de dépendance ou de confort. Considérons au contraire que ce sont des relations d’approfondissement du travail toujours plus intenses, toujours plus profondes, toujours plus précises. Dans Face à Médée Dréville l’écrit encore comme un rappel : « Je ne suis pas dans une troupe, je ne suis l’actrice exclusive de personne, et c’est une condition de ma liberté que j’assume. Je choisis, tant que possible, avec qui travailler. »69


  1. Rêve et Folie de Georg Trakl, m.e.s. Claude Régy, Théâtre Nanterre-Amandiere, Festival d’Automne, Paris, 2016.
    Texte : Georg Trakl, « Rêve et Folie » in Crépuscule et déclin suivi de Sébastien en rêve et autres poèmes (tard. Marc Petit et Jean-Claude Schneider), Paris, Gallimard, 1990.  

  2. Ce spectacle a été créé pour la première fois en 2002, c’était un « spectacle d’école », une démonstration du travail effectué par Valérie Dréville à l’école d’art dramatique de Moscou d’Anatoli Vassiliev. Cette résidence permise grâce à une bourse de la Villa Médicis hors les murs a amené à ce spectacle dont la première en France a eu lieu au Festival d’Avignon. Le spectacle est joué épisodiquement jusqu’en 2005. Il renait en 2017 de la volonté de Valérie Dréville, devenue artiste associée du Théâtre National de Strasbourg.  

  3. Anatoli Vassiliev dans l’Avant propos de Face à Médée commente ce nombre de représentations :
    « Au total, vingt représentations à Strasbourg et à Paris lors de la seconde création de ce spectacle, c’est décidément beaucoup trop peu. Et pourtant, un tel chemin, en terme d’efforts, de temps et de vie dépensées pour un résultat assez insignifiant du point de vue du nombre de représentations… Est-ce que c’est vraiment bien ? »
    Valérie Dréville, Face à Médée: Journal de répétition, Paris, Le Théâtre d'Actes Sud-Papiers, 2018  

  4. Médée-Matériau de Heiner Muller, m.e.s. Anatoli Vassiliev, Théâtre National de Strasbourg, 2017.
    Texte : Heiner Müller, « Médée-matériau » in Germania Mort à Berlin et autres textes, Paris, Les éditions de minuits, 1985.  

  5. Une saison en enfer de Arthur Rimbaud, m.e.s. Ulysse di Gregorio, Théâtre du Lucernaire , 2017.
    Texte : Arthur Rimbaud, Rimbaud : Poésies - Une saison en enfer - Illuminations, Paris, Gallimard, 1999.  

  6. Extinction de Thomas Berhard, m.e.s. Alain Françon et Blandine Masson, France Culture, 2011.
    Texte : Thomas Bernhard (trad. Gilberte Lambrichs), Extinction, Paris, Gallimard, 1999.  

  7. Liste des collaborations entre Claude Régy et les acteur de notre corpus :
    Yann Boudaud, Jean-Quentin Châtelain et Valérie Dréville ont joué ensemble sous la direction de Claude Régy dans :
    Des couteaux dans les poules de David Harrower, m.e.s. Claude Régy, Nanterre-Amandiers, Paris, 2000.
    Yann Boudaud et Valérie Dréville ont joué ensemble sous la direction de Claude Régy dans :
    Quelqu’un va venir de Jon Fosse, m.e.s. Claude Régy, Théâtre Nanterre-Amandiers, Paris, 1999.
    La mort de Tintagiles de Maurice Maeterlinck, m.e.s. Claude Régy, Théâtre Gérard Philipe, Paris, 1997.
    Jean-Quentin Châtelain et Valérie Dréville ont joué sous la direction de Claude Régy dans :
    La terrible voix de Satan de Gregory Motton, m.e.s. Claude Régy, Théâtre Gérard Philipe, Festival d’Automne, Paris, 1997.
    Le Criminel de Leslie Kaplan, m.e.s. Claude Régy, Théâtre de la Bastille, Festival d’Automne, Paris, 1997.
    En plus de Rêve et Folie, Yann Boudaud a joué sous la direction de Claude Régy dans :
    La Barque le soir de Tarjei Vesaas, m.e.s. Claude Régy, Ateliers Berthier, Festival d’Automne, Paris, 2012.
    Carnet d’un Disparu d'après un poème anonyme, m.e.s. Claude Régy, Kunsten FESTIVAL des Arts, Bruxelles, 2001.
    Melancholia d'après Jon Fosse, m.e.s. Claude Régy, La Colline, Paris, 2001.
    Holocauste d'après Charles Reznikoff, m.e.s. Claude Régy, La Colline, Paris, 1998.
    Jean-Quentin Châtelain a joué sous la direction de Claude Régy dans :
    Ode Maritime de Fernando Pessoa, m.e.s. Claude Régy, Théâtre Vidy-Lausanne, Lausanne, 2009.
    Homme sans but d’Arne Lygre, m.e.s. Claude Régy, Ateliers Berthier, Festival d’Automne, Paris, 2007.
    Le Cerceau de Victor Slavkine, m.e.s. Claude Régy, Théâtre Nanterre-Amandiers, Festival d’Automne, Paris, 1990.
    Valérie Dréville a joué sous la direction de Claude Régy dans :
    Comme un chant de David (trad. Henri Meschonnic), m.e.s. Claude Régy, Théâtre national de Bretagne, Rennes, 2005.
    Variation sur la mort de Jon Fosse, m.e.s. Claude Régy, La Colline, Festival d’Automne, Paris, 2003.  

  8. Fin de Partie de Samuel Beckett, m.e.s. Alain Françon, Théâtre de la Madeleine, 2011. 

  9. Programme de La divine comédie de Dante, 62e Festival d’Avignon, Cour d’honneur du palais des papes, 2008. + [URL : https://docplayer.fr/35445124-La-divine-comedie-extraits.html] (consulté en Juin 2020) 

  10. Yannick Butel, Acteurs de cristal - Rencontre avec Valérie Dréville, Pays des Miroirs Productions, 2013. 

  11. Jean Pierre Chartier (real.), « Le théâtre d’Artaud » in L'avenir est à vous, INA, 1965, 00:00:44 & 00:03:10. + [URL : https://www.ina.fr/video/I13186781] (consulté en Juin 2020) 

  12. Ibid., 00:03:10. 

  13. Claude Régy parle de l’attachement qu’il a à Tania Balachova. La première pièce qu’il mettra en scène Dona Rosita est de Frederico García Lorca un poète que Tania Balachova travailla et apprécia. Lorsqu’il aura à mettre en scène une pièce pour la Comédie française en 1990, Claude Régy choisira Huit-clos de Jean-Paul Sartre, une pièce attachée au nom de Tania Balachova : en 1944 c’est elle qui fait la création du rôle d'Inès Serrano.
    « Tania Balachova qui est une femme tout à fait exceptionnelle, tous les gens qui sont passés par là, je me rappelle de Zouk, je me rappelle de Vitez, Tatiana Moukhine, tous les gens qui sont passés par là ne peuvent pas l’oublier, Balachova. C’était un être exceptionnel, d’une générosité incroyable, d’une intelligence et d’une sensibilité qui ne faisait qu’un et elle ne manipuler jamais les êtres. C’était un échange vivant extraordinaire. D’ailleurs la vie est très étrange parce que presque encore au cours j’ai proposé à Balachova de jouer dans ma deuxième mise en scène, c’était une pièce de Pirandello qui s’appelait La vie que je t'ai donnée […] J’ai aussi joué sous sa direction, je l’ai dirigé. Ce sont des échanges à tout niveau. » in Laure Adler, A voix nue 1/5 avec Claude Régy, France Culture, 2006, 00:08:50. + [URL : https://www.franceculture.fr/theatre/claude-regy-je-sens-que-je-cherche-comme-une-bete-obscurement-quelque-chose] (consulté en Juin 2020)  

  14. Philippe Garbit, « Impromptu de vacances - Tania Balachova (1ère diffusion : 21/09/1965 » in Les nuits de France Culture, France Culture, 2019, 00:35:30. + [URL : https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/impromptu-de-vacances-tania-balachova-1ere-diffusion-21091965-0] (consulté en Juin 2020) 

  15. Philippe Garbit, « Images et visages du théâtre d'aujourd'hui - Entretien avec Tania Balachova 1/2 (Date d'enregistrement : 04/04/1968) » in Les nuits de France Culture, France Culture, 2015, 00:08:28. + [URL : https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/images-et-visages-du-theatre-d-aujourd-hui-entretien-avec] (consulté en Juin 2020) 

  16. Les rendez vous du conservatoire, La recherche perpétuelle et le dépassement des limites, CNSAD, 2017, 00:51:55. + [URL : https://academiecharlesdullin.fr/conferences/Valérie-Dréville/]  

  17. « Claude Régy ça a été mon maitre heureusement pour moi je l’ai découvert tardivement parce que j’avais la capacité de résister. C’est un envoûtement de travailler avec Claude. C’est un sacerdoce. Mais il faut aussi savoir aller ailleurs. Parce que la force qu’il nous apporte c’est une expérience et il nous dit toujours vous ne me remercierez jamais…» in Joëlle Gayot, « Jean-Quentin Châtelain en enfer » in Une saison au théâtre, France Culture, 2017, 00:22:25. + [URL : https://www.franceculture.fr/emissions/une-saison-au-theatre/en-enfer-avec-jean-quentin-Châtelain] (consulté en Juin 2020) 

  18. Jean Pierre Chartier (real.), « Le théâtre d’Artaud » in L'avenir est à vous, Op. Cit., 00:01:15. 

  19. Philippe Garbit, « Impromptu de vacances - Tania Balachova », Op. Cit., 00:34:10. 

  20. Valérie Dréville, Face à Médée: Journal de répétition, Arles, Le Théâtre d'Actes Sud-Papiers, 2018, p. 12. 

  21. Ibid., p. 29. 

  22. Ibid., p. 31. 

  23. « J’ai l’intuition que le visage de l‘acteur sera essentiel. Je voudrais que l’on puisse voir la source de cette parole – et à travers elle, voir l’au-delà de la parole, cet univers silencieux où les mots nous entraînent au-delà d‘eux-mêmes... Je vais du coup continuer à travailler avec les LED, qui ont le grand avantage de fonctionner sans que l’on perçoive les appareils, sans que la source soit visible. Il n’y a pas de faisceaux lumineux. On a l‘impression qu’en même temps qu’il recrée le texte, l’acteur génère la lumière, qu’elle émane de lui. » in Entretiens avec Gilles Amalvi pour le Festival dʼAutomne, Dossier de Presse du Théâtre de Vidy, 2016, p. 9. + [URL : https://www.myra.fr/wp-content/uploads/2018/07/dp-reve-et-folie.pdf] (consulté en Juin 2020) 

  24. Philippe Garbit, « Images et visages du théâtre d'aujourd'hui - Entretien avec Tania Balachova 2/2 » in Les nuits de France Culture, France Culture, 2015, 00:08:15. + [URL : https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/la-nuit-revee-de-catherine-arditi-images-et-visages-du-theatre] (consulté en Juin 2020)  

  25. « Elle nous a fait comprendre cela. Elle renversait la perspective. Pour prendre un exemple de la lutte de Balachova contre la tyrannie du sens, je citerai le travail qu'elle faisait faire sur le monologue de Ruy Blas : « Bon appétit, messieurs, ô ministres intègres / Conseillers vertueux », etc. Elle le donnait à jouer indifféremment aux hommes et aux femmes, chose également scandaleuse : on voyait des filles dans le monologue de Ruy Blas, le sexe importait peu. Et le jeu consistait - primat de la notion de jeu sur la notion de sens - à répondre instantanément aux injonctions lancées par Tania de sa place. On commençait : « Bon appétit, messieurs... », et puis Tania criait : « Amoureux. » À ce moment, il fallait aussitôt jouer dans le ton amoureux la suite de texte, quel que fût le sens des mots. Puis elle disait : « En colère. » Ou : « Épuisé. » Elle lançait les adjectifs. Et le jeu consistait à épouser instantanément le programme arbitraire fixé par elle. Cet entraînement à l'arbitraire assouplissait l'acteur. Je ne sais pas si elle avait établi une théorie de ce qu'elle faisait, mais le résultat était considérable : elle parvenait à dégager l'acteur de tous les préjugés, de tous les clichés sur le sens du texte. On avait la preuve, ainsi, que le texte fonctionne toujours, quelle que soit la couleur sentimentale donnée ici ou là. Ce qui émerge alors, c'est une relecture complète de l'idée de sens. En cela, Tania Balachova a joué un rôle immense. On reconnaît les acteurs formés par Balachova. Cela ne s'applique pas à moi, mon jeu s'est constitué sur d'autres bases, plus tard. » in Émile Copfermann, Conversations avec Antoine Vitez, Paris, P.O.L, 1999.
    Dans un entretien Tania Balachova précise ses exercices, elle met l’accent sur la dimension physique du rôle plus encore que sur la dimension psychologique :
    « Ouvrir les mâchoires pour ne pas barrer le son et ne pas envoyer la voix vers l’intérieur mais simplement penser qu’on parle vers l’extérieur pour se faire entendre : c’est beaucoup plus psychique que technique, la technique. […] Mais c’est tout de même de la technique parce qu’il faut exercer les lèvres pour qu’elles soient musclées, et que les mâchoires s’ouvrent […] Tous les timbres sont utilisables en somme pour un acteur au vu de l’éventail de rôle qu’il est appelé à jouer. Même la voix perchée, insupportable, peut être utile pour certaines compositions. Généralement j’enseigne la technique par des jeux : je joue à faire imaginer aux élèves qu’ils doivent se faire entendre de l’autre coté de la rivière, je leur demande d’oublier le sens des mots, et de s’amuser de faire des sons riches, de décupler certaines consonnes, de façon royale, tout ça ce sont des jeux mais le jour où il ont à jouer Ruy Blas ça peut leur servir.» in Philippe Garbit, « Impromptu de vacances - Tania Balachova », Op. Cit., 00:29:50.  

  26. Philippe Garbit, « Impromptu de vacances - Tania Balachova », Op. Cit., 00:36:10. 

  27. Philippe Garbit, « Entretien avec Tania Balachova 1/2 », Op.Cit., 00:08:55. 

  28. Philippe Garbit, « Entretien avec Tania Balachova 2/2 », Op. Cit., 00:09:05. 

  29. « Ce qu’il faut essayer d’insuffler aux acteurs, c’est une nourriture à la fois mentale et émotionnelle, qui leur permette d’aller au-delà, comme je vais au-delà par des tons surbas ou surforts, surcriés.»
    Claude Régy, Écrits 1991-2011, Besançon, Les solitaires intempestifs, 2016, p. 83.  

  30. Joëlle Gayot, « Jean-Quentin Châtelain en enfer », Op. Cit., 00:23:00.
    Yann Boudaud partage la même expérience :
    « Claude demande à ses acteurs d’être dans un état de vigilance absolue, d’observation intérieure. Il passe beaucoup de temps à nourrir les acteurs, à leur donner des images, à les soutenir, et en même temps il demande aux acteurs de dépasser leur conditionnement d’acteur. » in Chloé Larmet, «L’importance du secret, Paroles croisées sur la pratique du théâtre avec Claude Régy » in Théâtre public. Claude Régy, Regards croisée, n°234, Paris, 2019, p. 29.
    « La création s’étale sur trois mois : quinze jours à la table et deux mois et demi sur le plateau. Il y a tout un travail de préparation avant les répétitions pendant lequel j’écoute des musiques, je lis des textes, je vois des tableaux ou des films. Et ensuite avec Claude il y a un travail d’enrichissement. On parle ensemble, on discute, on arrête, on reprend le travail. Le texte n’est pas su quand on commence les répétitions, pour qu’il n’y ait pas de travail interprétatif préalable. On a le temps finalement que le texte rentre au fil des répétitions. » in Chloé Larmet, «Paroles de Yann Boudaud» in Expériences de voix, Thèse de doctorat en Arts du spectacle Université Jules Verne de Picardie, 2016, p. 437.  

  31. Les rendez vous du conservatoire, La recherche perpétuelle et le dépassement des limites, Op. Cit., 00:50:40. 

  32. Ibid., 01:14:40.  

  33. Les rendez vous du conservatoire, La recherche perpétuelle et le dépassement des limites, Op. Cit., 01:27:55.
    Valérie Dréville parle souvent de « légèreté » et on retrouve dans ce terme ce que Vassiliev appelle « le sourire intérieur » :
    « J’aimerais bien parler de la légèreté, j’aimerais bien parler de ça. […] Parce que souvent quand on joue des drames ou de la tragédie on croit qu’on doit souffrir, être émus, apporter de la douleur, etc. » in Yannick Butel, Acteurs de cristal - Rencontre avec Valérie Dréville, Pays des Miroirs Productions, 2013, 00:26:40.
    Yann Boudaud parle aussi de cette légèreté très chère à Valérie Dréville au sujet de son travail avec Claude Régy :
    « Je crois qu’un des pièges du travail avec Claude c’est de tomber dans quelque chose qui serait de l’ordre de l’expression de la douleur. Quelque chose de complaisant avec la douleur ou avec l’image qu’on se fait de la mort. Je pense que c’est un énorme écueil qu’il cherche à éviter. Donc oui, il m’encourage vraiment à aller vers cette légèreté. » in Chloé Larmet, «Paroles de Yann Boudaud» in Expériences de voix, Thèse de doctorat en Arts du spectacle Université Jules Verne de Picardie, 2016, p. 464.  

  34. Philippe Garbit, « Entretien avec Tania Balachova 2/2 », Op. Cit., 00:07:40. 

  35. En 1968 Anatoli Vassiliev entre au Conservatoire d’état d’Art dramatique Lounatcharski de Moscou, il suit les cours de Maria Knebel. Celle-ci a travaillé avec Stanislavski sur les « actions physiques » et la méthode de « l’analyse-action ». L’Analyse-Action est d’ailleurs un livre de Maria Knebel annoté par Anatoli Vassiliev.
    Pour Yann Boudaud le travail technique de Claude Régy s’y apparente :
    « Depuis que j’ai repris la collaboration avec Claude en 2012, je suis quand même frappé, aussi étrange cela puisse paraitre, de voir le nombre de points communs avec le travail de Stanislavski, en particulier tel qu’il est décrit par Maria Knebel dans L’Analyse-action. Le déploiement de la vision intérieure, le séquençage des actions, les pulsions d’actions, le travail sur l’origine du mouvement, l’influence de la vision sur le corps: Claude ne parle pas de tout cela nommément mais le résultat est extraordinairement proche. » in Chloé Larmet, «L’importance du secret, Paroles croisées sur la pratique du théâtre avec Claude Régy », Op. Cit. p. 29.  

  36. « C'était une recherche du jeu intérieur : tout était basé sur le jeu intérieur - évidemment très dérivé de Stanislavski. Mais ce qu'il y a de formidable chez Tania, c'est qu'il n'y avait aucun dogmatisme dans son enseignement » in Odile Quirot, Grands entretiens, mémoire du théâtre, Laurent Terzieff, Part.3:Chap.31 : « La leçon de Tania Balachova », Op.Cit., INA, 2010, 00:01:00. 

  37. Émile Copfermann, Conversations avec Antoine Vitez, Paris, P.O.L, 1999.  

  38. Les rendez vous du conservatoire, La recherche perpétuelle et le dépassement des limites, Op. Cit., 00:08:00. 

  39. « J’ai essayé de rencontrer des metteurs en scène avec qui je pourrais aborder de nouvelles questions, une autre façon de travailler. Ça a été le cas avec Krystian Lupa, et bien sûr j'y retrouvais une foule de points communs, à commencer par le lexique, qui me relient à l'école russe. Avec Thomas Ostermeier, différemment, j'ai aussi retrouvé Stanislavki et Meyerhold. »
    Valérie Dréville, Face à Médée: Journal de répétition, Arles, Le Théâtre d'Actes Sud-Papiers, 2018, p. 26.  

  40. Philippe Garbit, « Impromptu de vacances - Tania Balachova », Op. Cit., 00:16:15. 

  41. Ibid., 00:39:55. 

  42. Claude Régy : « Avec Jean-Quentin, on a toujours fait avec des difficultés entre nous. C’est officiel qu’on a plutôt un rapport difficile. Et en même temps il y a chez lui un goût de revenir. Pendant une période, il m’a dit « il faut que je laisse passer au moins trois ans à chaque fois parce que c’est trop dur ». Entre L’Homme sans but et Ode Maritime il n’a pas mis de distance. »
    Vincent Brayer, « Entretien avec Claude Régy » in Voyage dans les esthétiques de Claude Régy et Stanislas Nordey, La Manufacture - Haute École des Arts de la Scène, 2010, p. 91.
    Jean-Quentin Châtelain : « Il nous dit toujours vous ne me remercierez jamais parce que c’est vrai qu’on le déteste quand on répète avec lui parce qu’il est très dur et très cruel avec nous. Mais c’est parce qu’il veut nous faire faire un grand voyage. » in Joëlle Gayot, « Jean-Quentin Châtelain en enfer », Op. Cit., 00:22:45.  

  43. Entre 2001 et 2011, Yann Boudaud a jouer dans Antoine et Cléopâtre mise en scène par Noël Casale en 2006. 

  44. Claude Régy : « [Les acteurs Japonais] ont un comportement dans le travail que je ne retrouve pas avec des acteurs français, si extraordinaire soit-il, sauf peut être chez Yann qui fait un travail qui me surprend tous les soirs.» in Sabine Quiriconi (animé par), Rencontre avec Claude Régy & Alexandre Barry, Nanterre-Amandiers, 2016. 00:11:20 + [ URL : https://vimeo.com/186821947]  

  45. « Parfois [Claude Régy] pousse tellement la chose à son comble que ce qui le maintient en éveil pendant les répétitions, c’est quand l’acteur est à la limite d’on ne sait quoi, comme dans un précipice et qu’il se demande s’il faut sauter ou non. C’est une limite où l’acteur se perd lui-même, oublie même son texte ou commence à s’effondrer en sanglots. [...] Tout d’un coup l’acteur se dit : "mais c’est l’instant où on va crever." [...] C’est pour ces raisons qu’il est très difficile d’être dans ses spectacles, mais c’est aussi magnifique. [...] quelquefois, la lumière apparaît, nous sommes lavés, comme renaissant, avec une sorte d’inquiétude parce que la naissance est nouvelle. C’est sûr qu’il y a un travail sur la métamorphose, qu’il demande aux acteurs de ne plus être comme ils étaient avant. » in Georges Banu, «Travailler avec Claude Régy» in Claude Régy, metteur en scène déraisonnable, Alternatives théâtrales,1993,p. 10. 

  46. Yann Boudaud : « J’ai l’impression que Claude me demande de descendre dans mon intimité, c’est-à-dire d’injecter une part de mon autobiographie dans le travail, mais que cette intimité rejoint une sorte d’intimité collective. J’ai cette sensation dans le travail avec lui d’être au service de quelque chose de bien plus grand que l’histoire qu’il me propose à travers le texte dont j’ai la charge. Le texte de Rêve et folie parle de la recherche d’une élévation : de la folie, de la mort et de la chute, mais aussi de la quête de lumière.
    Et je crois que ces questions ne me concernent pas seulement moi, ce sont des questions fondamentales sur la vie, sur la mort. De quoi suis-je constitué ? Que signifie être un individu ? Comment vit-on ensemble ? D’où vient-on ? Quels sont nos conditionnements familiaux, sociaux, politique ? Qu’est ce que la liberté ? Claude demande aux acteurs et à toute l’équipe technique d’aller chercher au-delà de leurs propres conditionnements. Je me souviens de séances de travail où il me bousculait, me mettait face à mes propres contradictions de professionnel, pour aller au-delà. Et peut-être que c’est ce que tout le monde cherche quelque part. Claude nous met, en tant qu’acteur, dans une position de responsabilité. » in Chloé Larmet, «L’importance du secret, Paroles croisées sur la pratique du théâtre avec Claude Régy », Op. Cit. p. 31.  

  47. « Il y a quelque chose qui est en train de changer, ça semble être extérieur au travail mais en fait ça ne l’est pas, c’est le fait que Claude parle de sa disparition prochaine, de manière assez simple. Je crois que ça contribue à apporter quelque chose de supplémentaire à la nature de ce travail. » in Chloé Larmet, « Paroles de Yann Boudaud (Entretient avec Sabine Quiriconi) » in Expériences de voix, Thèse de doctorat en Arts du spectacle Université Jules Verne de Picardie, 2016, p. 449.  

  48. Yann Boudaud : « C’est un travail infaisable en fait. J’ai toujours l’impression d’effleurer les sensations que j’éprouve, mais c’est un travail ultra volatile. J’ai comme l’impression qu’on court après cette volatilité permanente. C’est comme si le travail avec Claude c’était le parfum des choses et non pas la chose, parce que la chose sitôt dite, sitôt éprouvée, ressentie elle s’échappe tout de suite. » in Chloé Larmet, «Paroles de Yann Boudaud (Entretient avec Sabine Quiriconi)» in Expériences de voix, Op.Cit., p.435.  

  49. Chloé Larmet, « Paroles de Yann Boudaud (Entretien réalisé par Chloé Larmet) » in Expériences de voix, Op. Cit., p. 444. 

  50. Chloé Larmet, « Paroles de Yann Boudaud (Entretien réalisé par Sabine Quiriconi) » in Expériences de voix, Op. Cit., p. 449. 

  51. Ibid., p. 463.
    « Il y a le travail qu’on fait avec Claude, et il y a le travail que je fais tout seul, en dehors de lui. Tout comme il y a des choses que je ne peux pas demander à Claude et que je demande à d’autres personnes qui connaissent très bien mon travail. Il y a des endroits où je ne peux pas demander de l’aide à Claude, il ne me la donnera pas, au contraire parfois il va m’enfoncer. […] Claude dit qu’il n’y a pas de personnage et je le comprends. Il n’y en a pas, c’est un texte qui parle d’un personnage. Mais ça ne m’empêche pas d’aller chercher ce personnage, d’aller travailler aussi sur les écrits de Stanislavski sur la ligne des actions physiques. J’ai l’impression en lisant ces derniers écrits de Stanislavski de faire un travail similaire mais non révélé, invisible. C’est le processus que je vis, ça ne se verra pas et c’est très bien parce que l’objet n’est pas forcément de montrer mais de vivre. C’est très puissant ce qu’il raconte Stanislavski, moi je tombe quand je lis ça. Il comprend un truc sur l’origine du mouvement, c’est puissant ! Je suis en contact avec toute cette matière. C’est très important pour moi de me dégager de l’univers qui appartient en propre à Claude pour aller ramener des choses complémentaires, différentes. » in Chloé Larmet, « Paroles de Yann Boudaud (Entretien réalisé par Sabine Quiriconi) » in Expériences de voix, Op. Cit., p. 460.  

  52. Chloé Larmet, «Paroles de Yann Boudaud» in Expériences de voix, Thèse de doctorat en Arts du spectacle Université Jules Verne de Picardie, 2016, p. 450.  

  53. Valérie Dréville, Face à Médée: Journal de répétition, Paris, Le Théâtre d'Actes Sud-Papiers, 2018, p. 53. 

  54. Ibid., p. 75. 

  55. Ibid., p. 108.
    Elle conclut page 109 : « Ce jour aura été décisif dans le processus du travail. J'avais besoin de prendre de la distance vis-à-vis de Vassiliev, de transformer les modalités d’une relation ancienne, de prendre les rênes, de me faire confiance. Ce filage me montre que mes doutes n’ont plus de raison d'être, que je possède la maîtrise de ce travail, et que le plus important est sans doute la position intérieure et la construction préalable. La colère a expulsé toute l'angoisse accumulée depuis des semaines. »  

  56. Valérie Dréville, Face à Médée: Journal de répétition, Paris, Le Théâtre d'Actes Sud-Papiers, 2018, p. 62. 

  57. Joëlle Gayot, « Samuel Beckett / Serge Merlin / La dernière bande » in Changement de décor, France Culture, 2012, 00:02:50. 

  58. Laure Adler, « Serge Merlin: "Je suis mal-aimé" » in Hors-Champs, France Culture, 2016, 00:28:40. + [URL : https://www.franceculture.fr/emissions/hors-champs/serge-merlin-je-suis-mal-aime] (consulté en Juin 2020)  

  59. Yannick Butel, Acteurs de cristal - Rencontre avec Valérie Dréville, Pays des Miroirs Productions, 2013, 00:00:35. 

  60. Valérie Dréville, Face à Médée: Journal de répétition, Paris, Le Théâtre d'Actes Sud-Papiers, 2018, p. 72. 

  61. Ibid., p. 119. 

  62. Yannick Butel, Jean-Quentin Châtelain | Un Entretien, L’insensé-Scènes, Juillet 2018, 00:02:40.  

  63. Valérie Dréville,Face à Médée: Journal de répétition, Paris, Le Théâtre d'Actes Sud-Papiers, 2018, p. 92. 

  64. Philippe Garbit, « Entretien avec Tania Balachova 2/2 », Op. Cit., 00:20:25. 

  65. Ibid., 00:16:55. 

  66. Ibid., 00:14:45 

  67. Les rendez-vous du conservatoire, La recherche perpétuelle et le dépassement des limites, Op. Cit., 00:02:50. 

  68. Liste des monologues de Jean-Quentain Châtelain :
    En plus de Une saison en enfer, Jean-Quentin Châtelain joue seul en scène dans :
    • Mars de Fritz Zorn, m.e.s. Darius Peyamiras, Centre Culturel Suisse, Paris, 1986.
    • Exécuteur 14 de Adel Hakim, m.e.s. Adel Hakim, Théâtre Gérard Philipe, Paris, 1991.
    Premier amour de Samuel Beckett, m.e.s. Jean-Michel Meyer, Théâtre de la Bastille, Paris, 1999.
    Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas de Imre Kertész, m.e.s. Joël Jouanneau, Théâtre Ouvert, Paris, 2004.
    • Ode Maritime de Fernando Pessoa, m.e.s. Claude Régy, Théâtre Vidy-Lausanne, Lausanne, 2009.
    • J’ai passé ma vie à chercher l’ouvre-boîtes de M.D. Barthélémy, m.e.s. Jean-Quentin Châtelain, Théâtre Vidy-Lausanne, 2011.
    • Lettre au père de Franz Kafka, m.e.s. Jean-Yves Ruf, Théâtre Vidy-Lausanne, Lausanne, 2012.
    • Gros-Câlin d'après Romain Gary, m.e.s. Bérangère Bonvoisin, Théâtre de l'Œuvre, Paris, 2013.
    • Bourlinguer d'après Blaise Cendrars, m.e.s. Darius Peyamiras, Le Poche-Genève, Genève, 2014.
    C’est la vie ! de Peter Turrini, m.e.s. Charlie Brozzoni, Bonlieu Scène nationale, Annecy, 2015.
    Pour Louis de Funès de Valère Novarina, m.e.s. Valère Novarina, Bonlieu Scène nationale, Annecy, 2016.
    • Evguénie Sokolov d’après Serge Gainsbourg, m.e.s. Charlotte Lévy-Markovitch, Théâtre du Petit Saint-Martin, Paris, 2020.
    • Manuel d’exil d’après Velibor Čolić, m.e.s. Maya Bösch, Théâtre Saint-Gervais, Genève, 2020.
    • Moby Dick Ou Les Enfants de Rachel d'après Herman Melville, m.e.s. Stuart Seide, (en création).  

  69. Valérie Dréville, Face à Médée: Journal de répétition, Paris, Le Théâtre d'Actes Sud-Papiers, 2018, p. 26.
    Si une figure se détache de notre corpus, c’est celle de Valérie Dréville. Elle est de tous les combats, à un lien de travail ou de filiation avec toutes les personnalités que nous évoquons dans notre travail. Elle peut, dans une réponse à la question « Antoine Vitez concevait le théâtre comme le lieu de ‘’l’exercice perpétuel’’. Revendiquez-vous cette approche de la scène ? », faire une réponse citant Anatoli Vassiliev, Antoine Vitez, Tania Balachova et Claude Régy tout en définissant les spécificités de chacun et en prenant position dans ce terrain qu’elle dessine :
    « Oui, certainement... Il s’est trouvé que sa disparition a créé le besoin de continuer dans sa direction. J’étais à la Comédie Française, je sentais qu’il y avait une pression très forte pour que je devienne « professionnelle » mais je ne m’en sentais pas les armes, j’avais encore envie d’apprendre. Il m’a fallu aller chercher ailleurs, et j’ai eu la chance de rencontrer Anatoli Vassiliev qui, d’une certaine façon, poursuit une idée similaire. Même si le travail est sensiblement différent, j’ai retrouvé des éléments d’enseignement d’Antoine Vitez dans l’histoire du théâtre russe. Par exemple, cette façon de revendiquer de « pouvoir tout jouer »... j’ai récemment entendu Vassiliev y faire référence en interview et, lui, avait hérité cette approche du théâtre de Tania Balachova, issue de l’école de Stanislavki. C’est un continuum très fort, pour moi. Autre chose que je crois avoir apprise d’Anatoli Vassiliev, c’est que tout est objectivable. Jouer n’est ni une histoire de tempérament, de talent ou de grâce, c’est une question de travail, de réflexion sur ce qu’est être acteur. Il y a toujours une raison objective, par exemple, qui fait qu’un acteur n’est parfois pas dans l’image « juste ». Il la trouve alors par élimination, par excès. On ne peut jamais savoir avant, on avance dans l’obscurité. Un comédien existe lorsqu’il sait ce qu’il fait. Même s’il n’est pas encore à l’endroit juste, il y va, il y travaille et il n’y a ni de quoi se désespérer, ni de quoi s’enthousiasmer à l’excès. Il faut toujours apprendre, parce que rien n’est jamais acquis. Quant à Claude Régy, c’est tout à fait différent. Il a une telle conception du jeu, de ce qu’est la scène, qu’il a évidemment été fondamental, mais pas du tout dans le sens de cette connaissance du travail à acquérir, de différents styles à parcourir, pas dans le sens de l’exercice perpétuel et de « faire théâtre de tout» comme pouvait l’inciter Vitez ou Vassiliev. Régy apporte le «défaire», la déconstruction, le retour au vide. C’est une forme de construction mais par la négation. Son théâtre nécessite l’action forte d’un metteur en scène ou d’un professeur sur un acteur pour arriver au but. Ce n’est pas un théâtre que l’on peut fabriquer seul. D’une certaine manière, cela doit faire partie de moi ce goût du « non-faire », mais c’est pour moi un mystère total que le théâtre de Claude Régy! Contrairement à Vassiliev, d’ailleurs, dont je vois très concrètement la ligne d’action. » in Eve Beauvallet, Entretien avec Valérie Dréville, Dossier de Presse. Paroles d’acteurs, Valérie Dréville, Festival d’Automne, 2011, p. 7. + [ URL : https://www.festival-automne.com/uploads/Publish/evenement/1511/DP.11Paroles_dacteurs.pdf ]  

Next Post

Previous Post

© 2025 Matéo Mavromatis

Theme by Anders Norén