Aujourd’hui, 1er avril 2022, Jahana me fait remarquer que son texte a été écrit il y a exactement cent ans jour pour jour. Nous travaillons son passage comme on fête un anniversaire.
Ainsi, ce spectacle se veut avant tout être une discussion entre les corps et les voix de ces jeunes comédien.ne.s, élèves au Collège et au Lycée Thiers, et des mots, ceux de la poétesse Mireille Havet. Que sous-tendent ces mots ? Comment agissent-ils sur nous ? Sont- ils de lointains fantômes témoins du passé ou au contraire si précis qu’ils restent au plus proche de nous ? En nous ? Quoiqu’il en soit le théâtre dit toujours au présent.
C’est donc un dialogue silencieux, souterrain, que nous vous proposons. Il ne pourra pas être question de tout comprendre du sens de ces textes. Mais plutôt de voir où ces mots, ces sons, cette poésie peuvent nous transporter. Comment nous font-ils rêver ?
En cela, ce spectacle s’inscrit dans la continuité du travail mené l’année précédente sur Not I de Samuel Beckett. Une fois encore ce spectacle se prête à une certaine passivité, à une écoute parfois abstraite, à un état parfois inconscient. Nous avons travaillé à ce que la pièce offre un voyage dans un monde sensible, poétique et sonore.
Mireille Havet veut vivre intensément, elle parle d’amour, de fête, et de la mort comme prétexte à une vie de folie. Alors peut-être ses mots contiennent-ils en eux cette matière adolescente, insoumise et moderne qui font les grands poètes et les grands textes de théâtre.
L’un des combats que mènent en ce moment les mouvements de la jeunesse, y compris féministe, c’est celui de repeupler les imaginaires de figures historiques ou artistiques, oubliées ou effacées. Mireille Havet serait peut-être l’une d’elles.
Havet 1922-2022
D’après Mireille Havet Journal 1919-1924 « Aller droit à l’enfer, par le chemin même qui le fait oublier. » Édition Claire Paulhan. 2005.
- © Ophelie Koinonia
Mireille Havet
Mireille Havet naît le 4 octobre 1898.
Après la mort de son père en 1912, elle vit seule avec sa soeur et sa mère, qui malgré des problèmes financiers certains, essaient d'offrir à ses filles un environnement mondain. L'absence de son père lui procure une liberté quasi totale, elle ne fréquente pas d'école, et se trouve livrée à elle-même. Elle lit donc seule, Gide, Colette, Whitman, Maeterlinck, Claudel.
Mireille Havet va rapidement découvrir et identifier son attirance pour les femmes. Dès le tout début de l'année 1914, en janvier, elle confie à son journal les sentiments particuliersqu'elle sent naître en elle pour d'autres jeunes filles.
Elle débute sa carrière en décembre 1913 avec la publication de son conte fantastique La maison dans l’oeil du chat dans Les Soirées de Paris. Elle publiera un second livre en 1923, Carnaval, chez Albin Michel.
Alors que cette consécration aurait pu lui ouvrir enfin toutes les portes, sa mère meurt. La poésie seule ne peut pas sauver la jeune femme, qui, perdant la seule stabilité qui lui restait encore, se laisse aller à la vie facile, à la merci des drogues et des conquêtes féminines.
Mireille Havet n'écrit plus beaucoup, sombre dans l'addiction aux drogues, malgré de nombreuses tentatives de désintoxication. À partir de 1926, sa vie devient de plus en plus chaotique. Des ruptures successives la laissent désargentée et au bord de la folie.
Elle tombe malade en 1929 ; atteinte de tuberculose, elle vit dans des conditions précaires, erre entre les maisons de ses amis et divers hôtels, et perd ainsi deux romans. Cette fin difficile, la jeune femme l’aperçoit dès 1922, et la prophétise avec une incroyable clairvoyance :
« Je me rends compte de la sottise de cette parole « je ne veux pas faire de vieux os ». Certes non, mais j’oubliais la maladie atroce et longue, la vieillesse trop tôt, l’usure, les infirmités, la déchéance du corps... La mort rapide est bonne pour les héros. Outrepasser par l’audace, l’invention et l’aventure les bornes de la vie ne mérite pas la mort foudroyante des combattants. La maladie nous est promise, afin que durant son évolution lente, nous puissions comprendre notre péché. » (26.10.1922)
Son état financier comme physique pousse son oncle à la faire hospitaliser dans un sanatorium en Suisse, à la fin de l'année 1931, où elle décédera le 21 mars 1932. Elle a alors trente-quatre ans.
Deux ans auparavant elle aura confié, peut-être consciente de sa fin annoncée, ses précieux journaux à son amie de longue date, Ludmila Savitzky. C’est la petite fille de cette dernière qui retrouvera les pages noircies d’encre, presque 70 ans plus tard, dans un coffre de son grenier.
Le journal intime de Mireille Havet l'aura accompagnée toute sa vie.
D’après « Le journal de Mireille Havet : Entre écriture de soi et Grand Œuvre » une thèse soutenue par Marthe Compain à l’université de Toulouse en 2013